Bahá’í World/Volume 5/Les Problêmes du Monde et la Foi Bahá’í
LES PROBLÊMES DU MONDE ET LA FOI BAHÁ’Í
CAUSERIE FAITE PAR ‘ALÍ AFḌALÍPÚR
à la réunion de l’Union des Etudiants Bahá’ís le 31 Décembre 1933 à Paris
MESDAMES, Messieurs, mes chers amis,
C'est avec un vif plaisir que je me suis vu chargé par le Mahfel Rouhani de Paris de prendre aujourd’hui la parole, dans notre quartrième congrès annuel. Ce plaisir m’est d’autant plus cher et précieux, que c’est la première fois que j’ai l’honneur d’assister à ces belles réunions. Des empêchements de toute sorte m’avaient jusqu’ici privé d’y venir. Je me voyais pour ainsi dire un peu coupable, malgré moi—même; et je voulais me racheter dans les limites de mes humbles possibilités. C’est pourquoi j’ai accueilli avec beaucoup de plaisir, l’ordre qui m’a été donné. J’essayais ainsi de me faire pardonner mon absence pendant les trois premières conférences. Je n’aurais jamais osé parler devant vous qui êtes infiniment mieux renseignés que moi, si je n’étais pas animé de cet esprit. Je vous prierais donc, Mesdames et Messieurs, d’être indulgents à mon égard, d’autant plus que je dois m’exprimer dans une langue qui n’est pas mienne, et qu’il m’a été très difficile de me documenter, faute de temps et de possibilités.
Le sujet dont je vais vous entretenir aujourd’hui est le suivant: “Les problêmes actuels du monde et le Bahá’ísme.” Je suis le premier à avouer qu’il est trop ample, et par conséquent trop difficile pour moi. Il y a tant de problèmes dans le monde, qu’il faut vraiment avoir de “l’audace,” comme le disait Danton, pour se permettre de leur trouver une solution applicable partout et toujours. En tout cas, je me propose de montrer que le béhaïsme est le seul reméde, la solution unique pour tous ces problèmes. Et pour cela je dois commencer par analyser chacune des différentes difficultés por lesquelles le monde passe en ce moment, et faire voir ensuite de quelle manière le béhaïsme est à même d’y remédier, ct montrer enfin que c’cst lui qui peut assurer au monde le salut et la prospérité dont il a tant besoin, surtout depuis un certain temps.
Mesdames et Messieurs, nous savons tous que l’humanité est dans un état de crise aigüe. Les tensions internationales, les luttes des classes et des partis, les rivalités économiques des différents pays, la convoitise des uns, la faiblesse des autres, les divergences entre les divers peuples, les incohérences sociales, le manque de scrupule de tous et bien d’autres problèmes, qui pour ne pas être aussi importants que ceux dont je viens vous parler, n’en contribuent pas moins à séparer les hommes les uns des autres; tout cela fait que notre pauvre planète qui devrait être un véritable paradis, n’est plus qu’un enfer, oui, un enfer dans toute l’acception du mot.
Dieu nous a créés. Par la voix de ses innombrables prophètes il nous a enseigné que c’est seulement notre union et notre entente qui peuvent nous assurer un bonheur social sûr et durable; et regardez où en est l’humanité dans cette voie! Rien ne marche; tout est bouleversé; il n'y a qu’une chose qui compte, et c’est l’intérêt personnel. Les hommes devraient en avoir honte.
Au milieu de tout ce désordre, et de toutes
ces divergences, une poignée d’hommes,
conscients du véritable état des choses, voyant
que l’humanité aveuglée par les passions
funestes et les cupidités exagérées des hommes,
s’approche d’un précipice, où elle peut
s’écraser encore une fois, comme il y a quinze
ans, veulent empêcher le désastre et font tout
ce qu’ils peuvent pour cela. Cette poignée
d’hommes, c’est nous, les Bahá’ís. Le voyage
du Maître au début de ce siècle en Europe
et en Amérique, en est une preuve éclatante.
Lui qui sentait si bien l’effroyable guerre
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venir, a fait tout pour la prévenir. On l'a
mal écouté. Voici le résultat. J’en passe.
Je ne dis pas que nous sommes seuls a être pacifistes et humanitaires. Mais je prétends que nous sommes les seuls a posséder l’inestimable talisman qui doit prévenir les pires catastrophes, qui doit unir les hommes dans un commun accord, et faire le bonheur et la prospérité de l’humanité. Et cela parce que nous envisageons les problémes du monde sous leur forme la plus générale, et que nous disposons de la connaissance d’une nouvelle révélation, d'un esprit surhumain et divin dont les autres sont dépourvus. Il paraft donc tout naturel que la seule solution des innombrables problèmes actuels et futurs du monde, soit le béhäisme. Et c’est cela que je me propose de démontrer sous une forme qui barre le chemin à toute équivoque.
Je vais envisager la chose sous deux aspects: J’examinerai d’abord les problèmes sociaux, c’est-à-dire le rôle du béhäisme dans les relations des hommes les uns avec les autres. Et ensuite j’aborderai l’étude, un peu moins importante, de l’influence que notre Cause peut avoir sur le genre humain au point de vue purement personnel.
Les sujets les plus importants de désaccord entre les hommes sont actuellement, d’abord la question des nationalités, ensuite la lutte des classes et des partis, et enfin les rivalités économiques. D’autres-problèmes moins importants, mais pas du tout négligeables, contribuent aussi à cette mésentente. Je commencerai par éxaminer d’abord ces trois questions qui sont les plus épineuses. Je dirai ensuite un mot sur les problèmes de seconde importance.
Nationalité! Quel beau mot! Et il est d’autant plus beau que son vrai sens a le plus échappé aux hommes. J’ai envie de crier la fameuse phrase de Madame Roland, au pied de l'échafaud en la modifiant un peu: "O Nationalité, que de crimes on commet en ton nom!’ Oui, la nationalité qui se confond en général avec l’amour de la patrie, est trés belle. Mais il faut la comprendre, et comme dans tout “That is the question.”
Muḥammad disait: "L’amour de la Patrie fait partie de la croyance en Dieu.” Je ne vais pas comme ce grand philosophe et poète Molavi, prétendre que le prophète n’entendait point par là, le sens habituel du mot "Patrie.” Cette manière de voir a son pour et son contre. De toute façon elle nous éloigne du domaine purement matériel qui nous intéresse en ce moment. En tout cas, je ne suis pas de cet avis. Je crois que par le mot “Patrie” Muḥammad a bien voulu dire le pays dans lequel nous et nos parents sommes nés. Je trouve d’ailleurs que c’est tout à fait normal; et qu’un homme aussi sage que Muḥammad ne pouvait pas ne pas conseiller à ses disciples l’amour de la patrie. Nous avons d’ailleurs une confirmation éclatante de ce que les envoyés de Dieu sont de grands patriotes, dans la personne de notre Seigneur Abdolbaha, qui, malgré les déboires et les peines que lui avaient causés ses compatriotes, est resté pendant toute sa vie un Persan, un vrai persan, un bon persan, qu’on pourrait citer comme le plus bel exemple du patriotisme et de la conservation nationale.
S’il en est ainsi, et surtout puisqu’il en est vraiment ainsi, voyons pourquoi faut-il aimer sa patrie? C’est encore le prophète arabe qui l’a dit d’une manière moins directe: "Celui qui n’est pas reconnaissant envers les hommes, ne l’est pas envers le Dieu.” Et quels sont les gens envers qui nous devons être reconnaissants en premier lieu, si ce ne sont point nos compatriotes? Nous avons vu le jour parmi eux, ils nous ont élevés, nourris, soignés; ils nous ont donné tout ce que nous possédons au point de vue matériel et moral, à commencer par la vie. Ils comprennent notre langage, ils ont les mêmes habitudes que nous. Et en un mot ce sont nos compatriotes. Eh bien, si nous voulons aimer les hommes, n’est-ce pas par eux que nous devons commencer?
C’est le raisonnement que font tous les nationalistes. Ils n’oublient qu’un seul point, et c’est là le vrai malheur. Oui, ils oublient que le chemin dans lequel ils se sont engagés ne se termine pas là. Ils croient être arrivés au but, quand ils ont seulement parcouru une pauvre petite moitié de leur route. Ils arrêtent leur course, juste au moment où elle commence à être intéressante.
En effet, puisque c’est si beau d’aimer,
puisque sans amour la mort vaut mieux que
la vie, puisque nous avons vu quelle joie, quel
bonheur, quelle béatitude et quelle félicité
nous procurait l’amour de nos compatriotes.
pourquoi nous arrêter en si bon chemin? Si
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l’amour de nos concitoyens, et par conséquent
celui de notre patrie, doit nous rendre
si heureux, et puisqu’il en est vraiment ainsi,
pourquoi ne pas aimer aussi les autres hommes
et les autres pays? Cela augmenterait d’abord
notre joie personnelle, car celui qui nourrit
une haine contre un autre, en souffre autant.
sinon plus, que la personne détestée. Cette
conception devrait suffire à nous faire aimer
les autres hommes. Mais il y a encore une
autre raison qui doit nous pousser davantage
vers cet amour. Et cette raison capitale est
que cela nous assure la sécurité, oui la sécurité
dont on parle tellement en ce moment,
mais dont personne ne comprend le vrai sens.
Il est bien entendu que la réciprocité et la
bonne foi sont les conditions essentielles de
ce que je dis.
Mais de même que l’enfant ne peut pas courir avant d’avoir appris à marcher, de même pour pouvoir aimer l’humanité entiere, il est indispensable de commencer par aimer ses compatriotes. Pour pouvoir servir le monde, il faut d’abord apprendre à servir son propre pays.
Il y a treize siècles, Muḥammad disait: “L’amour de la Patrie fait partie intégrale de la Religion.” Il a ainsi voulu préparer les hommes pour le grand jour; pour le jour où la voix divine de Bahá’u’lláh lançait à travers l’univers agonisant le fameux appel à l’amour et à la paix universels. C’est alors que le Maître Suprême nous dit: “Vous êtes tous les fruits d’un même arbre et les feuilles d’une même branche.” Il ne faut pas voir une contradiction entre l’Islamisme et le Bahá’ísme. Quand le premier a fait son apparition, l’humanité au sens large du mot n’existait pour ainsi dire pas. Il aurait été déplacé de prêcher la paix universelle. Alors Muḥammad a dit: “Je suis le prophète au salue.” Aujourd’hui l’humanité a grandi, le monde a évolué. C’est pourquoi notre Seigneur dit: “Si je pouvais j’aurais embrassé la main de mon meurtrier.” Quelle différence et quelle leçon pour nous tous! Nous devons en conclure que le temps du nationalisme brutal et de l’héroisme bestial est bien fini. Avant tout les hommes ont besoin de vivre honnêtement, et avec le plus de bien être possible. Il faut comprendre le monde d’aujourd’hui, et ne plus se croire au Moyen Age.
D’autre part, du temps de Muḥammad, les moyens matériels ne permettaient pas aux monarques les levées en masse des peuples les uns contre les autres. Les conflits n’étaient que locaux; une guerre internationals n’avait pas de sens. Les hommes ne connaisaient que leurs voisins, et de plus la moitié des continents n’était pas encore découverte. D’ailleurs les armes offensives et défensives étaient si rudimentaires que même dans les grandes guerres, il n’y avait jamais plus de quelques centaines de victimes. C’est pour cela que les préceptes de Muḥammad suffisaient pour assurer le bonheur de cette humanité en herbe.
Tandis que maintenant les progrés matériels, résultant des découvertes et des inventions scientifiques, ont créé ce qu’on peut appeler la science de la guerre. Chaque pays possède des êcoles spéciales où l’on apprend aux hommes l’art de s’entr’tuer. Des milliers de savants au lieu d’orienter leurs recherches vers la découverte des remèdes des innombrables maux matériels et moraux de l’humanité, se crusent le cerveau pour trouver la meilleure manière d’anéantir un autre homme. Ces hydravions, ces cuirassés, ces torpilleurs, ces canons à longue portée, ces obus à gaz asphyxiant, ces mitrailleuses, ces fortifications, tout cela c’est pour faire mourir plus facilement les autres hommes.
Voila, Mesdames et Messieurs, le gâchis dans lequel nous nous débattons, et où nous resterions éternellement si le bras puissant de Bahá’u’lláh ne pouvait nous aider à nous en tirer. Qui peut en effet sauver maintenant le monde si ce n’est pas le béhaïsme qui prend l’amour du prochain pour base? Quels sont ceux qui sont capables de donner au monde ce qu’il lui manque pour son bonheur si ce n’est pas nous, les Bahá’ís?
Bahá’u’lláh en prêchant la paix universelle
a ordonné l’institution d’une Maison de Justice
Internationale pour juger les conflits qui
pourraient survenir ntre les différents peuples,
et pour créer une législation conforme aux
vrais besoins des hommes et ceci, il y a déjà
de longues années. Les malheurs de ces
derniers temps et la terrible crainte d’une
nouvelle catastrophe ont serré si fort l’humanité
à la gorge, que cette humanité si
récalcitrante et si peu débonnaire, crée des
institutions dans le genre de la Cour
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Internationale de Justice de la Haye, et de la
Société des Nations, qui bien que très loin
d’être parfaites et puissantes, et bien que pas
mal de peuples se montrent pessimistes quant
à leur efiicacité, voire même leur utilité,
montrent quand même dans quelle direction
les hommes cherchent leur salut; et de quel
côte s’orientent les espoirs. Ce n’est plus la
lutte pour la vie qui doit séléctionner les
être, les hommes et les peuples viables. Il
faut qu’une entr’aide poussée et poursuivie
porte les hommes à donner de la force aux
faibles, de la vie aux agonisants, afin que
l’humanité entiére puisse se glorifier de ce
qu’elle mérite bien le titre de Créature Suprême.
C’est l’avis de tout le monde, même des nations les plus belligueuses. Il est malheureux que certaines gens confondent encore le pacifisms et la faiblesse. Etre pacifique cela ne veut pas dire qu’on se laisse faire. D’autant plus que le pacifisme doit être toujours accompagné d’une justice absolue, de l’égalité des droits et des devoirs, et d’un esprit de commune comprehension et de bonne volonté.
Pour parer à une controverse, je suis obligé d’ouvrir une petite parenthése. On pourrait objecter que le militarisme rend l’homme capable de mieux supporter la vie et ses déboires, qu’il forme le caractère de l’Homme, du vrai homme fort ete entreprenant. Je ne dis pas que cette objection ne soit pas fondée. Bien au contraire; moi aussi je partage cette opinion. Il n’y a pas en effet de meilleure école pour un jeune homme que le régiment. Ah! je sais bien que cette opinion étonne quand c’estcelle d’un Béhaï. Mais permettezmoi de m’expliquer. Je ne dis pas que ce sont les fusils, les mitrailleuses, les canons et tous les autres engins guerriers qui forment ce que j’ai appelé le caractère de l’homme. Non ce n’est pas cela. Ces instruments n’ont pas d’àme, comment influenceraient-ils un être animé? C’est l’esprit de discipline, de solidarité dans les différentes péripéties de la vie, de camaraderie et d’autres choses dans ce genre qui constituent le vrai intérêt du service militaire, que je considère comme presqu’indispensable. Si nous l’abolissons nous aurons rendu un très grand service à l’humanité. Mais nous aurons du même coup privé les hommes de cette formation de caractére qui leur est nécessaire. Rien ne nous empêche de remplacer le service militaire par un autre du même genre, par un service social, sans arrière pensée guerrière. Ce serait quelque chose comme les cours ménagers pour jeunes filles. N’est-ce pas, Mesdames et Messieurs, que vous êtes maintenant de mon avis sur ce sujet?
Un problème d’une grande actualité qui peut être traité en marge de l’étude des nationalités est celui de la colonisation et des abus qui en résultent. Il existe malheureusement encore des peuples incapables de se diriger eux-mêmes. Cela a servi de prétexte aux autres nations plus fortes, de les plier sous leur joug, et d’étendre même cette opération vers des pays assez civilisés mais plus faibles. Si nous avons un petit frére malade et ignorant, ce n’est pas une raison pour accaparer ses biens. Au contraire, nous devons l’aider d’abord à recouvrer sa santé et ensuite à acquérir une éducation convenable. Les colonisateurs sont animés en apparence de cet esprit. Mais j’aime mieux me taire sur leurs vraies intentions. Je tiens à faire remarquer simplement que le béhaïsme n’a pas oublié ces malheureux qui n’ont que le tort de ne pas avoir été favorisés par le sort. Il a mis les peuples arriérés sous la direction et la protection de la Maison de Justice, ce qui permet, tout en évitant les excès, de barrer le chemin à la cupidité des grandes puissances.
Je ne m’attarderai pas davantage sur la question des nationalités et sur la manière de montrer comment le béhaïsme est à même d’y remédier. Le problème est aussi long qu’intéressant et mériterait de faire le sujet d’une conférence entière. Permettez-moi d’en rester là, et d’aborder l’étude de la lutte des classes qui met les hommes aux prises les uns contre les autres.
Je ne veux pas vous parler des raisons pour
lesquelles Dieu n’a pas voulu que tous les
hommes soient égaux. Mais vous constatez
bien avec moi qu’il en est ainsi, cependant que
l’on ait encore abusé de cette apparence
d’inégalité pour montrer l’injustice qui règne
sur la terre et en conclure des choses qui
sont contraires à nos opinions de Béhaïs. Je
prends la chose telle qu’elle se présente. Sur la
terre il y a des forts et des faibles, des
hommes plus ou moins intelligents, des
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malades et des gens qui jouissent d’une bonne
sauté, des riches et des pauvres, des heureux
et des malheureux, que sais—je encore? Tout
ce que je vois c’est que les hommes ne sont
pas égaux, quand même je répète avec Leibniz
“Tout est pour le mieux dans le meilleur
des mondes possibles.”
Ces différences de quelque source qu’elles viennent, font que les hommes dont l’état social se rapproche le plus les uns des autres, s’unissent pour se défendre contre les autres. Des diiférentes classes naissent ainsi. Vous voyez des conservateurs, des fascistes, des communistes, etc., etc. Ces classes s’en veulent et en général ne se l’envoient pas dire. Ces différentes divisions forment une nouvelle classification de la société, de même que les nationalités en formaient une autre. Mais j’avoue que cette nouvelle classification est moins fantaisiste que la premiere. C’est pourquoi il est peutêtre plus facile d’y remédier.
En tout cas si nous partageons l’opinion générale, nous devons en conclure que de jour en jour cette lutte deviendra plus ardente et plus âpre et qu’il n’y a aucune issue, à moins que l’humanité entiére ne forme une seule classe. Mais cette solution peut être envisagée de deux points de vue. Je veux dire que les hommes peuvent former une classe unique par deux méthodes.
La première est que les hommes des différents pays et des différentes conditions deviennent tous égaux au plus grand nombre de points de vue possible: condition sociale, aptitude à la civilisation et au progrès, intelligence, état de santé, etc, etc. Mais nous tombons là bel et bien dans une solution impossible, voire même absurde. Nous avons vu en effet que les hommes malgré eux, et sans qu’ils y soient pour rien, ne sont pas tous dans un même état, et cela à aucun point de vue. Et alors nous trouvons cette même impossibilité comme réponse à notre problème. Donc ce n’est pas cela qui peut guérir le mal; ilfaut trouver autre chose. Et cette autre chose est la seconde méthode de résolution dont je vais vous parler. La voici, et vous jugerez vous-mêmes si elle est astucieuse.
Si au lieu de rendre tous les hommes égaux —opération qui s’avère impossible—en vue de les réconcilier à jamais les uns avec les autres, nous tâchions de créer cet esprit de réconciliation et de compréhension par un moyen un peu moins brusque, ne serions-nous pas plus sûrs d’arriver au but sans avoir été arrêtés à chaque instant par de nouvelles difficultés? C’est cela qu’a cherché Bahá’u’lláh. En unissant l’ouvrier et le patron sous le symbole divin de la cause; en faisant dépendre le salaire non pas du gré des capitalistes, mais comme étant proportionnel au chiffre d’affaires, il a non seulement créé dans le coeur de l’ouvrier l’inestimable joie de travailler pour lui-même, puis-qu’il gagne d’autant plus qu’il travaille davantage, mais il a encore atténué et affaibli, au point de les rendre négligeables, les exigences et les revendications, vis à vis l’une de l’autre, des deux classes les plus importantes de la société actuelle, les ouvriers et les patrons.
Qu’en dites-vous? N’est-ce pas que c’est admirable? Le contraire m’aurait vraiment étonné. Puisque c’est Dieu en personne qui se charge de mettre un peu d’ordre dans sa création, il serait regrettable s’il s’en était tiré moins bien, lui qui est la puissance, la justice et la bonté mêmes. Pour préserver le monde contre la monotonie qui est un des plus effroyables visages de la mort et due néant, il n’a pas fait tous les hommes égaux. Mais alors pour faire voir que cela ne l’empêchait pas d’être juste et bienveillant, il a institué ces belles lois pour que les hommes tout en se trouvant dans les rangs les plus différents de la société, ne s’y croient pas malheureux et délaissés par leur Créateur, et qu’ils aient même de la joie dans l’accomplissement de leur devoir.
Voilà le deuxième point acquis. Je viens de montrer que le Béhaïsme est la seule doctrine qui peut résoudre efficacement et d’une manière durable le problème de la lutte des classes. Je vais maintenant étudier la troisième et dernière question sociale à laquelle le béhaïsme a apporté son remède bienfaisant et agréable.
C’est des rivalités économiques des différents pays
dont je veux parler. Ma tâche
est maintenant d’autant plus facile, que les
dux sujets précédemment traités, vont me
permettre d’aller plus vite dans l’étude de ce
dernier. Examinons d’abord un peu les mots
mêmes “Rivalités économiques.” La rivalité
est formée par la composition de deux sentiments,
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l’égo'ïsme et la jalousie, l’un aussi
méprisable que l’autre. Cette rivalité a quelquefois
du bon lorsqu’on n’en abuse point.
Elle active les progrès matériels et même
moràux des hommes et des groupes d’hommes.
En tout cas, elle devient tout à fait
intolérable quand elle est accompagnée
du mot “économique.” Les rivalités
économiques naissent quand des hommes se proposent
de s’enrichir, de se créer un commerce et une
industrie florissants, au dépens de leurs prochains,
de leurs semblables, de leurs frères.
Ces rivalités sont dans la nature même de la
plupart des hommes; et la crise par laquelle
nous passons en ce moment, a augmenté encore davantage
ce sentiment naturel.
Que faire contre ce mal? Les hommes ont faim, ils ont froid, ils veulent ceci, ils veulent cela, et rien n’arrête leurs exigences. Sous le prétexte de chercher leur bien être et celui des leurs, ils veulent priver leurs voisins de ce qui leur est indispensable. Cela va bien loin comme vous le pensez et comme nous le voyons tous. Il est indiscutable qu’un homme qui n’a pas son nécessaire, se permet tout pour se le procurer. Il vole, il tue, il commet les plus horribles crimes. Je ne veux pas entrer dans les détails, ce qui allongera encore davantage cette petite causerie qui commence à dépasser son cadre. Je dis tout simplement que dans ce cas sans vouloir dire qu’un tel homme a raison, je ne lui donne pas tout à fait tort. Si mes enfants, meurent de faim, je peux me permettre, sans que ma conscience me blâme pour cela, de voler le blé qui va être brûlé faute d’acheteur.
Des hommes emploient les denrées comme combustible dans les locomotives, ils jettent des millions de litres de lait dans les rivières, ils brulent des milliers de bestiaux, parce qu’ils veulent vendre le reste plus cher. Et pendant ce temps. . . . Je ne crois pas avoir besoin de vous dire ce qui se passe et de tracer devant vous des scènes horribles de détresse, de misère, de faim, de froid et de mort.
Ne devons-nous pas avoir honte de ce qui se passe sous nos yeux? Et si les générations futures apprenaient un jour ce qui s’est passé de notre temps, n’auraient-ils pas le droit de nous maudire? Oui, Mesdames et Messieurs, voilà à quoi aboutissent les rivalités économiques.
N’accusons pas le Dieu d'injustice. La surface de la terre est suffisamment grande pour nourrir maintenant et longtemps encore, tous les hommes. Et si un jour le nombre des habitants de notre pauvre planète est si grand qu’ elle ne peut plus les nourrir, je suis sûr que la science aura déjà trouvé depuis longtemps, la manière d’avoir du blé sans cultiver le sol, et due lait sans traire les vaches. C’est nous, les hommes, qui par nos mauvaises méthodes de répartition des biens, créons tant de malheurs, là où le bon Dieu n’a voulu que du bonheur. C’est à nous-mêmes que nous devons en vouloir si nos frères meurent de faim et de froid.
Je ne donne plus de détails parce que cela m’effraie. En tout cas c’est maintenant que nons comprenons à quel point le béhaïsme est indispensable pour mettre fin à ces horreurs auxquelles nous commençons à prendre tellement l’habitude que nous ne nous rendons plus compte de leur énomité.
En prenant pour base des relations entre les hommes la coopération et la charité, en freinant les basses cupidités avec ses lois divines, en criant une fois de plus à tous les hommes qu’ils sont des frères, et qu’ils se doivent une entr’aide mutuelle soutenue et voulue de bon gré, il montre qu’il est le seul, absolument le seul remède à toutes les douleurs de cette malheureuse humanité.
Voilà traités très succinctement les trois questions sociales les plus importantes auxquelles comme nous l’avons vu, le Béhaïsme apporte des solutions aussi efficaces que durables.
Il me reste encore quelque sujets de moindre importance dont je vais vous dire un mot à propos de chacun.
Je commence par l’égalité de l’homme et
de la femme. Jusqu’à nos jours la femme a
été très mal comprise. On l’a considérée
tantôt au—dessus et tantôt au-dessous de ce
qu’elle est en réalité; d’où des exagérations
d’un côté aussi bien que de l’autre. On a
dit enfin que la femme était l’égal de
l’homme. C’est une manière de s’exprimer,
mais elle n’est pas rigoureusement exacte.
Il existe entre l’homme et la femme des différences
extrêmement marquées, et il est
impossible de las faire disparaitre, car elles
tiennent à la nature même des choses. Il y
a certes des points de resemblance. Il ne peut
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donc être question d’égalité que sur ces
points. Et en dehors de cela ce mot est tout
à fait fantaisiste. Le béhaïsme l’a rectifié
en disant que l’homme et la femme sont les
compléments l’un de l’autre. Il n’y a pas
de supériorité, d’égalité ou d’infériorité. Il y
a que la femme complète l’homme; qu’elle
lui est indispensable et réciproquement. C’est
la manière la plus naturelle de résoudre la
question. Elle tient compte d’une part du
physique même de l’homme et de la femme,
et de l’autre elle est tout à fait equitable. En
prenant cette idée pour base des relations
entre l’homme et la femme, nous arrivons
à une nouvelle conception de la vie conjugale
qui la rend bien plus agréable. Nous comprenons
du même coup la vraie place que
la femme doit occuper dans la société et par
conséquent ses véritables droits et devoirs.
La seconde question est l’institution de l’instruction publique, qui est une des plus heureuses nouveautés du béhaïsme. Comme en général les conflits les excès, les crimes et tout ce qui est vil et bas, a pour principale comme l’ignorance, on voit combien la portée de ce commandement est grande. Son importance est si bien connue que malgré l’amour du métier j’en reste là pour cette question.
Je crois toutefois qu’il ne serait pas déplacé maintenant de dire un mot sur le travail obligatoire. Le désoeuvrement ennuie l’homme et le pousse même quelquefois vers des choses inutiles, nuisibles, voire même dangereuses pour l’humanité. L’obligation d’avoir un emploi est très utile a l’individu tout en faisant profiter la société de l’un de ses membres qui ne sera plus traité de parasite.
Le troisième et le dernier sujet qui est loin d’être négligeable est l’idée géniale et divine qu’a eue Bahá’u’lláh de conseiller le choix d’une langue internationale que tous les hommes apprendraient sans que cela porte le moindre préjudice aux différentes langues et littératures existant sur la terre. Cela facilitera le commerce, l’industrie, le tourisme et en un mot toutes les relations que les hommes des différents pays peuvent avoir les uns avec les autres. Une généralisation naturelle et immédiate est la création d’une monnaie internationale, dont la nécessité est des plus évidentes surtout à l’époque actuelle.
J’ai fini ainsi avec les problèmes sociaux et les solutions que le béhaïsme y a apportées. Et maintenant je défie les sociologues les plus éminents, les économistes les plus compétents, les humanistes les plus désintéressés, les hommes politiques les plus en vue, de mieux trouver que Bahá’u’lláh, de faire une synthèse plus intime et plus appropriée des différents remèdes des innombrables maux de l’humanité, en une doctrine aussi succincte, aussi souple, ayant une portée aussi grande et étant aussi durable. Pourquoi Bahá’u’lláh a-t—il réussi à édifier cette oeuvre formidable? La réponse en est bien simple—C’est parce qu’il puisait ses principes dans une source que l’humanité n’a connue que de temps en temps par l’intermédiaire de quelques hommes, de quelques surhommes. Les hommes politiques qui se creusent actuellement le cerveau pour trouver quelque chose qui puisse assurer le bonheur du genre humain, ignorent cette source. Il leur est impossible de s’en approcher. C’est pour cela que les résultats auxpuels ils aboutissent sont des chefs d’oeuvre d’incohérence et d’absurdité. Passons.
Il ne me reste plus qu’a examiner le côté personnel de la Cause, c’est à dire l’aide que le béhaïsme peut apporter, et qu’il apporte aux malheurs intimes de chaque homme, à ses besoins personnels. Comme je n’ai pas l‘intention d’éterniser ma causerie, je considère entre un grand nombre de sujets, deux dont l’importance m’a frappé.
De nos jours, où la science tout en poussant
très loin l’étude médicale du corps humain et
tout en découvrant chaque jour
quelque chose de nouveau, n’en contribue pas
moins à exposer notre organisme à des maladies
qui n’existaient pas du temps de nos
ancêtres, ou qui existaient du moins d’une
manière inappréciable, l’hygiène et les questions
qui s’y rattaclient plus ou moins prennent une
importance capitale dans la vie de
l’homme. Bahá’u’lláh qui sait de quel côté
l’humanité est conduite n’a pas oublié ce
problème primordial. De très sages conseils
hygiéniques figurent donc dans ses écrits. Je
ne veux pas entrer dans les détails, mais vous
tous qui êtes sûrement très au courant de
ces conseils, vous êtes d’accord avec moi, que
si tous les hommes les suivaient, les différentes
maladies, et par suite la mortalité en seraient
considérablement atténuées. La chose a plutôt une
importance matérielle; mais n’est-ce
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pas qu’une bonne sautë est la première des
choses qu’un homme doit avoir pour être à
même d’accomplir son devoir envers la société.
En donnant un tour religieux à l’hygiène
qu’on a quelquefois tendance à mettre au second
plan, Baha’u’llél1 a voulu guérir le corps
comme il a voulu guérir l’âme. Et ma foi il
y a bien réussi comme partout ailleurs.
J’arrive maintenant à la toute dernière question qui mettra cette fois le point final à ce que je vais vous dire aujourd’hui. C’est je crois la plus délicate et la plus difficile à traiter. Je veux parler du côté poétique et mystique du béhaïsme. Et cela est d’autant plus important pour nous persans que la poésie est le fond de notre âme. Quelquefois dans la vie des circonstances dont nous ignorons même l’origine, viennent nous attrister. Nous pouvons même être triste tout en étant sûr qu’il n’y a pour cela aucune cause tangible. Personellement j’ai bien souvent eu ce chagrin qui vient, on ne sait d’où, et qui est si persistant que rien ne peut le dissiper.
C’est alors que nous avons besoin de dire à quelqu’un ce qui se passe en nous, d’avoir une âme soeur. Musset disait: “En se plaignant on se console.” Oui il nous arrive souvent de vouloir nous plaindre à quelqu’un. Cela n’est pas toujours possible. Les autres hommes qui ne sont pas dans le même état d’âme que nous, ont une certaine difficulté à nous comprendre, à saisir ce qui se passe en nous au juste. Ils sont par conséquent incapables de nous consoler. Nous nous sentons seuls, abandonnés, délaissés par le sort et par les hommes.
C’est en ce moment qu’une voix divine vient frapper notre oreille, et qui nous dit: “Si les hommes te laissent, eh bien, je suis avec toi, celui qui t’a crée, qui t’aime pour toi-même, et qui ne te délaissera jamais.” C’est là la voix de Bahá’u’lláh. Il vient à notre secours; il nous tire de notre embarras moral; il nous aide à porter le fardeau de la vie, qui est quelquefois si lourd. Et comment serait-il possible que ce soit autrement? Un bon père ne délaisse jamais son fils malheureux. Et Bahá’u’lláh, notre Seigneur, notre père à tous, nous laisserait-il seuls quand nous avons besoin de quelqu’un pour nous comprendre, pour nous consoler, pour faire briller dans la nuit obscure de notre désespoir l’étoile de l’amour divin, de cet amour qui est audessus de tout, et qui à lui seul pourrait suffire au bonheur de l’humanité? Non, il ne nous abandonne pas à nos cruels malheurs, il vient vers nous les bras tendus pour nous prendre au sein de sa divinité. Nous lisons une de ses belles prières, et nous voilà emportés dans un empire céleste, où nous ne voyons que lui, où nous n’entendons que sa voix divine. Cela nous console et apaise notre douleur. Nous commençons à revivre une autre vie nouvelle où tout est bel et rose.
Mesdames et Messieurs, vous voyez donc bien que notre Seigneur Bahá’u’lláh n’a rien oublié, pasle moindre détail, pour nous assurer le bonheur, et pour nous rendre la vie plus agréable. Il a pensé à tous les maux de l’humanité, aux problèmes les plus épineux; il a trouvé des remèdes pour les uns et des solutions pour les autres. Plus on approfondit sa Cause, plus on reste émerveillé devant ce chef-d’oeuvre de bon sens, d’humanité, de justice et de Charité; plus on sent un fluide céleste nous envahir et entrer dans le plus profond de notre être; plus on admire cette force divine qui a si bien compris sa création et qui y a a mis tant d’harmonie, de souplesse et de beauté.
Rendons-lui l’hommage qu’il mérite par
son génie et par le sacrifice qu’il a fair de sa
personne pour nous. Tâchons d’être à la
hauteur pour le servir avec dévouement et
reconnaissance. Imitons-le si toutefois
l’homme peut imiter le Dieu. Soyons heureux
d’être les premiers rescapés du monde en
péril. Sachons être dignes de celui qui a payé
de sa personne pour nous, en payant de notre
personne pour nos frères malheureux. Car
c’est cela qu’il a voulu, et c’est pour cela
qu’il est venu. Continuons son admirable
oeuvre si nous ne volons pas être des ingrats.
Employons-y toute notre force, toute notre
ardeur. Mettons-y tout notre amour, afin
que l’humanité acquière le salut dont elle a
tellement besoin. Il a mis son oeuvre entre
nos mains, comprenons-la. Que chacun de
nous se dise en sortant d’ici: “Je suis un
Bahá’í; mon Seigneur m’a sauvé. Mon premier
devoir et le plus sacré, est de porter sa
parole divine parmi les autres hommes, puisque
c’est: ainsi que je viendrai en aide aux
malheureux.” Et c’est alors, Mesdames et
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Messieurs que nous serons dignes de la tâche
qui nous incombe, et dont dépend le salut
de l’humanité.
Il me me reste plus qu’à vous remercier tous de l’attention que vous avez bien voulu apporter à cette causerie par simple esprit de bonté; à exprimer toute notre reconnaissance envers les amis qui n’habitant pas Paris, ont bien voulu se déranger pour nous honorer de leur présence; et à renouveler encore une fois toute ma gratitude envers le Mahfel Rouani de Paris de m’avoir procuré l’honneur et le plaisir de prendre aujourd’hui la parole dans cette belle réunion.
Group of Bahá’í friends and students in Paris, France.