Bahá’í World/Volume 8/Confèrence dans un cercle Bahá’í a Paris

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CONFERENCE DANS UN CERCLE BAHÁ’Í À PARIS

LE 19 MARS 1939

BY MADAME J. MONTEFIORE

UN pasteur américain de l’Église Unitaire, Monsieur Howard Colby Ives, a écrit un livre intitulé "Portes de la Liberté.” J’ai eu la joie et l’honneur de traduire en français ce livre, qui est composé, pour une bonne moitié, de citations des écrits de Bahá’u’lláh, le Fondateur de la Foi Bahá’íe, et de discours d’ ‘Abdu’l-Bahá, Son Fils. Le dosage de ces citations, mêlées au récit de l’expérience personnelle de Monsieur Ives, m’a paru très heureux, et propre à faire connaître les préceptes Bahá’ís, sans effaroucher dès l’abord les àmes non initiées aux idées mystiques.

Dans son livre, Monsieur Ives évoque souvent l’image d’ ‘Abdu’l-Bahá, tout en nous racontant avec beaucoup d’humilité et de sensibilité les différentes occasions qu’il a eues de Le voir, de L’entendre, et de s’entretenir avec Lui, au cours des huit mois que le Maître passa en Amérique, d’Avril à Décembre 1912.

‘Abdu’l-Bahá n’était pas seulement le Fils de Bahá’u’lláh par les liens du sang, mais Il était aussi Son Fils spirituel. A Lui seul Bahá’u’lláh avait conféré le droit de commenter et d’expliquer les préceptes de la Religion nouvelle. ‘Abdu’l-Bahá les diffusa dans le monde, au cours de Ses nombreux voyages, et, ce qui est plus remarquable, Il les mit en pratique pendant toute Sa vie.

L’Auteur déclare maintes fois qu’il est impossible de décrire l’indescriptible, c’est à dire le rayonnement de l’âme d’ ‘Abdu’l-Bahá, le fluide magnétique qui émanait de Sa personne, l’impression qu’il donnait d’appartenir à un monde supérieur, trés éloigné de notre égocentrisme humain. Cependant, Il pénétrait jusqu’aux replis les plus secrets du coeur des hommes, et, en Sa présence, sans confession, sans parler la même langue, dans le silence, on se sentait parfaitement compris et deviné, et comme submergé par les effluves de Son amour.

Mais ces évocations de l’être parfait incarné dans ‘Abdu’l-Bahá, et le récit des différentes étapes de l’évolution religieuse de Monsieur Ives ne suffiraient peut-être pas à provoquer dans l’âme du lecteur une émotion durable, et à faire naître l’espoir qu’une Lumiere nouvelle s’est levée sur le monde.

‘Abdu’l-Bahá, dans une volonté continuelle d’humilité, s’efface Lui-même, disparaît, se dissout pour ainsi dire, dans la gloire rayonnante de Son Père Bahá’u’lláh, le Fondateur de la Foi Bahá’í, la “Manifestation de Dieu,” le “Messager Divin,” qui, à notre époque, vint apporter aux hommes une nouvelle Révélation.

Hélas! pourquoi suffit-il de prononcer ces mots, pour provoquer les haussements d’épaules et les sourires des incroyants, et, ce qui est plus grave, les protestations, objections, susceptibilités et doutes d’âmes croyantes et sincères, mais appartenant à d’autres cultes, et se réclamant d’une autre Révélation divine?

Je veux tenter aujourd’hui un timide essai de réponse à ces objections.

Bahá’u’lláh ne cesse de proclamer l’unité fondamentale de toutes les Religions. Elles ont une base identique: Dieu. Comment croire, en effet, que Notre Père qui est aux cieux, et dont nos faibles facultés ne nous permettent même pas de concevoir l’essence, comment croire qu’Il puisse être différent pour les Juifs, les Boudhistes, les Chrétiens, les Mahométans et les Bahá’ís? Ce serait faire preuve d’un orgueil contraire à l’esprit vraiment religieux.

Ce qui diffère, nous le savons, c’est le Nom de la Manifestation Divine, le Nom du Messager de Dieu qui vient apporter aux hommes une nouvelle Révélation.

Bahá’u’lláh est le Dernier Venu (jusqu’ici) de ces Messagers de Dieu; Il est le Dernier anneau dans la longue chaîne des Prophètes de Révélation. Refuser d’entrer en contact avec un anneau de la chaîne, c’est la rompre.

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Mme. Jeanne Montefiore

. . . Nier l’Autorité Divine dont se réclame Bahá’u’lláh, serait nier, en même temps, l’Autorité Divine de tous les Prophètes qui L’ont précédé.

J’entends bien les protestations; chacun reste fidèle à sa propre tradition et au Prophète de sa propre Révélation.

Les Israëlites disent: “Nous avons Moïse et la Thora.”

"Nous avons le Christ et les Evangiles,” disent les Chrétiens.

Envisageons, si vous le voulez bien, quel pourrait être (je ne dis pas quel est) mais quel pourrait être le point de vue israëlite et le point de vue chrétien en présence de la Révélation de Bahá’u’lláh.

Pour commencer par la tradition la plus ancienne, par le Judaïsme, trouvons-nous des points de rapprochement entre les Juifs et les Bahá’ís? Oui, plusieurs, et de très importants.

Israël, à côté d’un particularisme évident et indéniable, a des traditions tout à fait marquées d’universalisme. Ceci n’est pas assez connu, mais dans les textes les plus anciens, les plus rituels, et non pas seulement dans les prières modernes ajoutées de nos jours, on trouve des prières pour tous les peuples. L’accueil hospitalier de l’étranger est un commandement de Dieu aux Israëlites. Ils ont aussi la compréhension instinctive des souffrances des exilés, peut-être par le souvenir atavique de l’esclavage d’Egypte. En somme, aucun exclusivisme. Or, l’universalisme est une des principales caractéristiques de la Révélation de Bahá’u’lláh.

Mais les Bahá’ís vont plus loin qu’Israël dans le sens de l’universalité, ce qui ne peut nous étonner, puisque cette Révélation correspond à une étape plus avancée dans l’évolution de l’Humanité. Pour les Bahá’ís, il n’y a plus de Peuple élu de Dieu. L’homme, enfant de Dieu, placé dans l’Univers, devient citoyen du monde, et frère, non pas seulement en paroles, mais en action, vèritablement frère de tous les autres hommes. On pourrait comparer cette évolution de Bahá’í’isme, par rapport au Judaïsm, à un fleuve

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qui s’élargit à son estuaire, et s’approfondit en s’élargissant.

Une autre idée enracinée dans tous les coeurs Juifs, est l’idée d’unité; les Juifs adorent le Dieu Un sans aucun intermédiaire humain. C’est aussi vers l’Unité que tendant tous les préceptes de Bahá’u’lláh. Mais, comme le prouvera la suite de cette causerie, les Bahá’ís vont aussi plus loin que les Juifs dans l’idée d’Unité, car ils l’appliquent à tous les domaines de la vie, et pas seulement au domaine religieux.

Enfin, troisième point, les Israëlites ne peuvent accepter de dogme qui soit contraire à la raison, Bahá’u’lláh recommande de toujours faire passer d’abord la croyance que l’on veut adopter par le crible de la raison, car ce qui ne serait pas en harmonie avec la science et la raison, ne serait plus de la religion, mais bien de la superstition. Il a ainsi réconcilié la science et la religion. Car toutes les superstitions étant éliminées de la Religion de Bahá’u’lláh, les hommes de science n’y voient plus aucune discordance, et les personnes d’esprit religieux sont encouragées par les préceptes Bahá’ís à étudier les sciences, et à examiner le fond des problèmes religieux avec un sens critique.

Cependant, les Israëlites orthodoxes, et même ceux qui ne le sont pas, objectent que les commandements de Dieu apportés par Moïse et contenus dans la Thora, renferment toute la vérité et toute la morale du monde. “Pourquoi,” disent-ils, “y ajouter un nouvel element?”

A cela, il y a plusieurs réponses à donner, et la première s’applique également aux préceptes du Christ; c’est que ces commandements admirables, répétés dans toutes les religions successives, n’ont pas été écoutés, les hommes ne leur ont pas obéi.

De plus, les religions n’échappent pas à la loi d’êvolution. Ce qui n’évolue pas dégénère. Ceux qui ont étudié les religions y voient trois phases: le printemps spirituel, la période d’apogée, puis le déclin. Non pas que toute religion ne rènferme un fond éternel de Vérité Divine, mais elle finit par perdre de son dynamisme, de sa force d’expansion, et a besoin d’être revivifiée et de reprendre de la vitalité. La stagnation entraîne la paralysie. Nous en avons un triste exemple dans la tiédeur des Israëlites contemporains, tiédeur qui, heureusement, n’est pas générale, mais très fréquente, et qui n’est pas incompatible avec un certain attachement aux traditions ancestrales. Seulement, alors, c’est plutôt la lettre que l’esprit qui survivrait, et il n’y aurait plus de religion vivante.

Enfin, les temps nouveaux peuvent amener des besoins spirituels nouveaux, et c’est pour cela, que malgré les fautes accumulées, malgré l’insouciance et l’ignorance des hommes, Dieu, dans Sa Clémence, ne se lasse pas de leur envoyer des Messagers pour les ramener à Lui.

La Religion de Bahá’u’lláh me semble devoir apporter réconciliation, apaisement et joie aux coeurs Israëlites si souvent ulcérés. Car, cette fois, on ne leur demande ni abandon, ni reniement, ni trahison. Il a été dit au Congrès des Religions de Calcutta: "Il est aussi impossible de changer de religion que de changer de mère.” Et quand cette mère, comme c’est le cas pour Israël, est persécutée, ensanglantée, douleureuse, on sent encore davantage combien on l’aime, et la force des liens qui vous unisent à elle. Ce n’est pas tant d’une conversion au Bahá’ísme qu’il s’agit, que d’une conversion plus haute, plus complète à la Cause de Dieu, qu’Israël, infidèle à sa vocation, n’a pas servi dans les temps modernes avec toute la ferveur et la chaleur désirables. Tout croyant sincère, dépourvu de préjugés, doit pouvoir s’enrôler dans l’armée qui combat pour la Cause de Dieu, et surtout les Israëlites, toujours assoiffés d’idéal et de progrès.

En raison même de ses traditions d’universalité et d’unite, Israël doit pouvoir adhérer avec élan au mouvement mondial de la Foi Bahá’íe qui, au nom de Dieu, proclame la fraternité de tous les hommes, sans distinction de nationalité, de croyance, de race ni de classe, et les unit tous dans une paix suprême et dans l’amour du Dieu Un.

Ici, je vous demande la permission d’ouvrir une petite parenthèse. Nous parlions tout à l’heure de la nécessité d’évoluer. Ce besoin s’est fait sentir dans toutes les religions, et il en est résulté le Judaïsme libéral, le Protestantisme libéral, le Catholicisme social. Le mouvement Bahá’í va plus loin: il marque un progrès décisif dans l’evolution religieuse des temps modernes, car il supprime toutes

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les cloisons étanches, unifie tous les élans, et englobe le monde entier dans son champ d’action.

Le Plan de Bahá’u’lláh, en effet, n’applique pas les Commandements Divins aux seuls problèmes spirituels et religieux, mais aussi à tous les domaines de l’activité humaine: Education, Politique, Economie politique, etc., etc. Ceci se dit en trois mots et en une minute, mais les répercussions d’une telle chose sont incalculables et susceptibles de provoquer dans le monde une révolution bienfaisante.

Ce n’est pas sans base réaliste et pratique que l’idéal Bahá’í prend son essor. La structure de Plan de Bahá’u’lláh est extrêmement solide et s’appuie sur une organisation administrative qui commence à fonctionner dans le monde, sous l’impulsion de Shoghi Effendi, arrière petit-fils de Bahá’u’lláh, petit-fils d’ ‘Abdu’l-Bahá. Celui-ci, avant de mourir en 1921, avait désigné son petit-fils comme devant être le Gardien de la Cause Bahá’íe.

Fermons maintenant la parenthèse, et examinons, si vous le voulez bien, quel pourrait être le point de vue chrétien en présence de la Révélation de Bahá’u’lláh.

Dans un cercle Bahá’í, nous avons entendu récemment un Père Dominicain qui admirait profondément tous les préceptes de Bahá’u’lláh, et croyait qu’on pouvait espérer voir se réaliser un jour l’union de tous les croyants du Royaume de Dieu. C’est un point de vue assez exceptionnel chez les Chrétiens. En général, si l’on parle devant un Chrétien des préceptes de Bahá’u’lláh et de Sa Révélation—ce qui arrive rarement du reste—le Chrétien s’écrie: “Le Christ a tout dit. Comment admettre ou même concevoir une Révélation supérieure aux Evangiles? c’est impossible.”

Et les Bahá’ís répondent: “Nous sommes parfaitement d’accord, mais le monde seraitil dans l’état où nous le voyons si les préceptes du Christ avaient été mis en pratique?”

Il ne vient jamais à l’idée des Bahá’ís d’opposer les unes aux autres les différentes "Manifestations de Dieu,” car Elles n’ont pas de personnalité propre, Elles se confondent avec l’Essence Divine. Il n’y a pas rivalité mais succession et continuité dans les Révélations différentes, et celle d’une époque développe la Révélation d’un époque précédente.

Ce qu’il faut savoir, c’est que la Religion de Bahá’u’lláh englobe toute la doctrine chrétienne, comme aussi tous les préceptes de Moïse, et tout ce qu’il y a d’essentiel, de véritable inspiration divine dans toutes les religions. Elle élimine simplement les éléments apportés par les hommes, au cours des siècles, et qui peuvent avoir altéré la pureté des commandements de Dieu.

Ce dont il s’agit, à l’aurore de cette ère nouvelle inaugurée par la Révélation de Bahá’u’lláh, c’est de mettre en pratique ces divins préceptes, qu’ils ne soient plus lettre morte, afin que l’humanité cesse de glisser vers le précipice avec une vitesse accélérée.

Dieu a dit aux hommes par la voix de Moïse: "Aime ton prochain comme toi-même!” Ce commandement a-t-il été écouté?

Dieu a dit aux hommes par la voix du Christ: “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés!” Ce commandement a-t-il été suivi?

La confusion haineuse et sanglante de notre monde est une réponse suffisante.

La vraie fraternité nous a été commandée, mais où existe—t-elle autrement que dans les paroles et les écrits? Où la voyons-nous mise en action? Les Chrétiens d’Amérique ont-ils des sentiments de fraternité pour les négres?

Nous-mêmes qui, en Europe, parlons beaucoup de fraternité, comment pouvonsnous tolérer ces taudis eflroyables qui existent dans tous les grands centres, à côté des manifestations du luxe et du plaisir?

Enfin, pour passer du général au particulier, sont-ils inspirés par des sentiments de fraternité ceux qui disent: “Nous ne pouvons secourir les réfugiés d’Allemagne et d’Autriche, non parce qu’ils sont des Juifs, mais par ce qu’ils sont Allemands ou Autrichiens?” Nous ne pouvons aider les réfugiés Espagnols parce qu’ils sont des Rouges, et que cela choquerait nos opinions politiques? Non, de quelque côté que nous nous tournions, nous voyons le manque d’élan fraternel. C’est pourquoi nous devons reconnaître que nous avons bien besoin de ce Dernier Venu des Messagers divins, de Bahá’u’lláh [Page 863] qui est apparu en Perse il y a quatre vints ans, environ, et qui a montré aux hommes les préjugés qui les empoisonnent. Il est venu les exhorter encore une fois à aimer Dieu et à s’aimer les uns les autres, en faisant tomber les barrières qui les séparent, et dans tous les domaines. Avouons-le, les religions précédentes, au lieu d’abattre ces barrières, les ont élevées et multipliées, et le nationalisme effréné qui se déchaîne dans le monde actuellement, les a encore rehaussées.

‘Abdu’l-Bahá a dit de la religion: "Si la religion devait être une cause de discorde et d’hostilité parmi les hommes, il vaudrait mieux pour le monde qu’il n’y eût pas de religion.”

Cependant, les Chrétiens ne peuvent voir en Bahá’u’lláh un simple réformateur comme Luther ou Calvin.

Le Mouvement Bahá’í ne peut être non plus comparé à celui de St. Francois d’Assise qui, au douzième et au treizième siècles, a tenté de rendre aux doctrines de l’Evangile leur pureté primitive. Bahá’u’lláh n’a pas seulemente exhorté les hommes à mettre en pratique les préceptes anciens; Sa Révélation renferme des éléments nouveaux essentiels au salut du monde, et qui n’existaient pas dans les Révélations précédentes. Monsieur Ives cite des discours d’ ‘Abdu’l-Bahá qui font ressortir ces éléments nouveaux, tout particuliérement intéressants. Je voudrais vous indiquer le plus important, et vous dire quelques mots sur ceux qui concernent le domaine social: par exemple, les lois du mariage et du divorce revisées. Il est naturel que les hommes d’aujourd’hui aient besoin d’autres lois que ceux d’il y a trois mille ans.

Bahá’u’lláh estime que le divorce est nécessaire dans la société actuelle, pour réparer les erreurs fréquentes et le mauvais choix des hommes et des femmes qui se marient sans comprendre l’importance de leurs actes, et qu’on ne peut condamner à vivre dans la discorde et l’hostilité. Si l’accord, l’unité et l’harmonie manquent dans un ménage, la Loi de Dieu est transgressée, car Dieu veut l’amour et l’unité.

Mais, d’autre part, la conception Bahá’íe du mariage est telle, qu’un vrai mariage Bahá’í (comme aussi, du reste, le vrai mariage israëlite ou chrétien) aboutit rarement au divorce.

Il ne s’agit plus cette union de convenances, qui caractérisait les mariages des deux derniers siècles; ni de cette liaison légalisée qu’est devenu le mariage moderne en Amérique et en Europe. Le mariage Bahá’í attache autant d’importance à l’union spirituelle qu’a l’attirance physique. L’union devient complète par la fusion de deux âimes embrasées par l’Amour de Dieu, et ces mariages-là n’aboutissent ni à la séparation ni au divorce, ils créent des liens indissolubles.

Une autre loi montre combien Bahá’u’lláh, inspiré par Dieu, fut un précurseur: il y a quatre vingts ans, en Perse, Pays d’Orient, Il proclama l’égalité de l’homme et de la femme. Or, rappelons-nous que même en France, à la fin du siècle dernier, cette égalité n’existait pas, la femme ne recevait pas la même instruction quel’homme. Encore à l’heure actuelle, dans certains pays d’Orient (n’oublions pas que le Plan de Bahá’u’lláh est mondial), la femme est une bête de somme et une esclave; même en Espagne, pays d’Europe, la femme du peuple n’est ni affranchie ni instruite.

Toujours à la Même époque, Bahá’u’lláh déclara que l’instruction devait être donée à tous, et non seulement l’instruction intellectuelle, mais aussi celle de l’âme. Malgré les progrès, ceci est encore bien loin d’être réalisé.

Voici maintenant cet élément nouveau essentiel de la Révélation de Bahá’u’lláh, dont je vous parlais tout à l’heure, et qui, à lui seul, devrait suffire à provoquer l’adhésion des croyants du monde entier: c’est que cette Religion n’exclut aucun Prophète du Passé, aucune race, aucune croyance, aucun peuple.

Les Bahá’ís voient la Vérité Divine dans toutes les religions. Nos prèjugés nous aveuglent à tel point que nous concevons difficilement cette idée: Dieu est la Vérité, et Dieu est dans toutes les religions. Pour les Bahá’ís il ne s’agit plus des religions, mais bien de La Religion de Dieu, accessible à tous les hommes de bonne volonté, quelles que soient leurs traditions particulières, ou le culte qu’ils pratiquent. Ce Message est envoyé à l’Humanité à l’époque de sa maturité, [Page 864]

où la race humaine est capable de supporter une nourriture plus forte et plus pure. Les buts qui, jusque-là, avaient seulement été indiqués ou entrevus, doivent maintenant être atteints, si l’homme veut mériter de s’appeler homme.

Depuis l’origine, les commandements de Dieu ont appelé les hommes à la sainteté.

“Soyez saints pour votre Dieu, Je suis l’Eternel votre Dieu,” est-il dit dans le Schema, prière fondamentale des Israëlites.

"Soyez parfaits comme votre Père au ciel est parfait,” disent les Evangiles.

Comment les hommes ont-ils interprété ces commandements? L’idéal de sainteté a été réalisé par quelques hommes et quelques femmes qui jalonnent les siècles écoulés, et qui les éclairent. Les autres hommes ont quelquefois persécuté ou ignoré ces saints, mais, le plus souvent, ils les ont respectés, admirés et vénérés. Ont-ils jamais essayé sérieusement de les imiter? Je crois que non, et, chose curieuse et attristante, l’Humanité, pourtant ivre d’orgueil en général, a montré sur ce point-là une modestie regrettable. Elle n’a pas cru en sa propre perfectibilité, elle a manqué d’élan vers la sainteté et refusé l’effort vers la perfection.

Après Moïse, après le Christ, Bahá’u’lláh vient dire à cette humanité déprimée, que ces buts qui lui semblent inaccessibles ne le sont pas, et qu’ils doivent être atteints à l’époque où nous sommes.

Pour les Bahá’ís, c’est à dire pour quelques millions d’étres humains disséminés dans le monde entier, ces appels à la sainteté prennent le caractère d’un ordre impératif, adressé à des initiés de la vie spirituelle, à une sorte de premiere légion dans l’armée qui combat pour la Cause de Dieu.

Il est impressionnant de remarquer avec quelle insistance les mots "Vous devez” reviennent sous la plume et sur les lèvres de Bahá’u’lláh et d’ ‘Abdu’l-Bahá, lorsqu’ils s’adressent aux croyants, à des adeptes de la Foi Bahá’í. "Vous devez.” C’est pourquoi on peut se dire Juif ou Chrétien sans observer tous les préceptes de Moïse ou de Christ, mais on ne peut s’intituler un véritable Bahá’í sans ëtre au moins engagé, par la volonté de l’amour, du renoncement et de l’humilité dans la voie étroite de la sainteté. C’est aussi pour cela qu’il est difficile et rare d’être un véritable Bahá’í.

‘Abdu’l-Bahá recommande cependant de ne pas s’hyptoniser sur le sentiment de sa propre non-valeur. Pour accomplir sur la terre Sa mission d’homme, il suffit “de marcher humblement devant son Dieu” (comme il est dit dans les Écritures) et de chercher, en se renoncant soi-même, à se conformer à la Volonté Divine. Une modestie exagérée peut devenir une sorte de subtile lâcheté, une manière de se dérober aux devoirs qui nous incombent.

Ce que Dieu ne pouvait exiger de l’Humanité dans son enfance, Il l’exige, par la voix de Bahá’u’lláh, de l’Humanité arrivée à sa maturité. Monsieur Ives nous raconte une scène très frappante; ‘Abdu’l-Bahá, qui lui parlait d’ordinaire très simplement, lui a dit une fois d’une voix prophétique et tonitruante: "En ce Jour, de grandes choses, de très grandes choses doivent s’accomplir!”

‘Abdu’l-Bahá, comme je vous le disais, n’a pas seulement expliqué, interprété et diffusé les préceptes de Son Père, Il les a aussi mis constamment en pratique dans Sa propre vie. Dans Son enfance, Il avait partagé l’exil de Bahá’u’lláh, puis ses quarante années d’emprisonnement et de torture dans la prison forteresse de St. Jean d’Acre. Pendant ces quarante ans, tous deux n’ont cessé de donner aux autres et -d’éprouver eux-mêmes l’impression d’une parfaite liberté, tant il est vrai que la seule prison est la prison du “Moi” où nous enferme notre égoisme.

‘Abdu’l-Bahá a montré ce que peut être un homme libéré des chaînes redoutables qui nous lient, dépouillé des voiles qui nous aveuglent et nous empêchent de discerner les Vérités Divines, “le Soleil de la Réalité.”

L’humilité est la base, le "leit-motif” des enseignements de Bahá’u’lláh. Là encore, vous pourriez objecter: "Rien de nouveau!” En effet, dans l’Ancien Testament, le Livre de Job tout entier est une lecon d’humilité, et dans les versets inspirés d’Esai, comme dans les chants immortels des Psaumes, les hommes sont exhortés à l’humilité. Le Christ a mis l’accent sur le renoncement, le sacrifice, l’humilité exaltée jusqu’à la servitude. Dans les Evangiles, “les Humbles sont les héritiers de la terre” et le lavage des pieds

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du Jeudi Saint est le symbole concret de cette exaltation de la servitude.

Dieu demande uniformément la même chose aux hommes dans toutes les religions, car chez les Boudhistes et les Mahométans, le renoncement et le sacrifice de soi sont également exaltés.

Quel accent particulier les enseignements de Bahá’u’lláh mettent-ils sur l’humilité et la servitude? ‘Abdu’l-Bahá, commentant les préceptes de Son Père, présente la servitude non seulement comme désirable, mais comme s’imposant à tous les hommes que veulent mériter de s’appeler des hommes, et ne pas être ravalés au rang de l’animal.

Dans “les Leçons de St. Jean d’Acre” ‘Abdu’l-Bahá explique qu’on ne peut envisager que trois sortes d’existence: Divinité, Prophète ou serviteur. L’homme ne peut aspirer à l’Essence divine. Il ne peut prétendre à l’état de Prophète, puisqu’un Oint du Seigneur n’apparaît que tous les mille ans environ. Seul l’état de serviteur lui est accessible, et le conduit à la grandeur—“Servir!” n’est ce pas l’élan secret de tous les coeurs humains? On s’en aperçoit lorsque survient une catastrophe: guerre, famine, épidémie, inondation, et que l’homme, se dépouillant, sous le choc, de sa cuirasse d’égoisme, se rue avec enthousiasme au secours de son prochain.

Evidemment, cet élan s’épuise trop vite, et, dans les longues épreuves, nous voyons revenir le long cortège des désirs personnels.

‘Abdu’l-Bahá était imprégné d’humilité, malgré l’autorité et la majesté qui se dégageaient de Sa personne. Il se montrait toujours parfaitement courtois, même en présence d’un interlocuteur incompréhensif ou hostile.

Si la courtoisie s’en est allée de notre monde c’est qu’elle est, je crois, fille de l’humilité et que nous sommes pétris d’orgueil. Voilà ce qui explique ces explosions si fréquentes d’indignation et de colère, lorsqu’on exprime devant nous des opinions religieuses ou politiques qui ne sont pas les nôtres. ‘Abdu’l-Bahá avait trop de vraie humilité pour se départir de Sa courtoisie. Son nom même veut dire: "Serviteur de la Gloire” et la Gloire, c’était Son Père Bahá’u’lláh. Il ne voulait pas d’autre titre.

“ ‘Abdu’l-Bahá et rien d’autre” disait-Il. En Amérique, Il a refusé tous les postes et titres honorifiques qu’on Lui offrait.

“ ‘Abdu’l-Bahá est un serviteur.” Telle fut Sa réponse.

L’esprit de servitude et l’humilité sont les joyaux de l’âme, mais ne trouvent leur éclat que dans l’amour. L’Amour de Dieu se traduisant en amour pour le prochain, voilà la Lumière indispensable qui éclaire toutes les religions et illumine celle de Bahá’u’lláh.

Madame Dreyfus-Barnay a expliqué, au cours d’un causerie dans un cercle Bahá’í, quelles étaient les trois caractéristiques principales de la Révélation de Bahá’u’lláh, l’universalité, l’union et la Paix suprême, que Bahá’u’lláh appelle "La Plus Grande Paix” et qui est bien autre chose que la cessation de la guerre.

Ces trois points, Universalité, Union, et Paix suprême sont des résultats, des effets de la Religion de Dieu, mais ne peuvent se réaliser que par l’Amour.

Comment ‘Abdu’l-Bahá concevait-Il cet Amour? Ici, je dois vous raconter une réponse qu’Il a faite, et qui est très familière aux Bahá’ís. On Lui demandait: “Comment se fait-il que les personnes qui se sont trouvées en votre présence aient des visages rayonnants?” Et Il répondit avec ce sourire sublime et ce mouvement ascendant des mains qu’on ne pouvait oublier, paraît-il, quand on les avait vus: "Je crois que c’est par ce que, sur tous les visages, je vois la Face de mon Divin Père.”

Voilà une réponse qui mérite d’être méditée et approfondie. ‘Abdu’l-Bahá voyait le reflet de Dieu sur tous les visages!

Il nous est peut-être arrivé de voir fugitivement ce reflet divin sur le pur visage d’un petit enfant, ou sur le front d’un mourant déja presque retourné au Sein de Dieu, ou encore sur le visage d’un saint, si nous avons eu le bonheur d’en connaître. Mais serions-nous capables de voir ce reflet divin sur le visage du criminal, de la protistuée, du matérialiste, sur toutes ces figures soucieuses ou avilies que nous croisons dans la rue? Hélas, non! On frémit de honte en mesurant la distance qui nous sépare d’un tel point de vue, et, pourtant, si ce point de vue se généralisait, il transformerait toutes [Page 866] les relations entre les hommes, et apporterait peutêtre la solution de bien des problèmes.

Monsieur Ives, nous expliquant ainsi le titre mystique de son livre, s’écrie: “L’Amour est la Porte de la Liberté,” non seulement pour celui qui aime, mais aussi pour celui qui est l’objet de cet amour. ‘Abdu’l-Bahá, imprégné de l’amour de Dieu, avait ce pouvoir qu’ont les saints de transformer les âmes, Il avait le don de les libérer de leurs chaînes, et, de là, les visages rayonnants.

Est-ce le seul privilège d’un ‘Abdu’l-Bahá, ou d’un saint, de parvenir à ces sommets radieux?

Le Maître affirme que cette vie supérieure est accessible à tous les hommes, à vous, à moi, à la condition d’avoir la volonté du perfectionnement, du renoncement, et de demander humblement l’assistance de Dieu, qui jamais ne se lasse d’envoyer aux hommes des guides et des éducateurs, pour les soutenir dans cette ascension difficile. Cet appel vivifiant ouvre des horizons nouveaux à l’humanité. . . .

Pour que se réalise le Plan grandiose de Bahá’u’lláh, il faut envisager un type humain dont nous n’avons encore vu que des exemplaires exceptionnels, chez les héros et chez les saints. Ici se pose un problème angoissant, d’un intérêt vital pour l’avenir des hommes. Le Plan de Bahá’u’lláh seraitil une utopie?

Est-il inconcevable que le bon exemple se propage comme les ondes dans une mare où l’on jette un caillou? En répondant “Oui, c’est inconcevable!” nous serions criminels et présomptueux, car il ne faut douter ni de la puissance de Dieu, ni de la bonne volonté des hommes. Nous admettons la force de propagation du mauvais exemple, qui se répand avec la rapidité de la peste, et qui en a la virulence. Alors, pourquoi douter de la force d’expansion du bon exemple?

Les Bahá’ís ont pour mission de généraliser la sainteté dans le monde, et d’activer les sentiments de vraie fraternité entre les hommes. Comme le dit excellemment Monsieur Ives: “Les préceptes de Bahá’u’lláh tendent à orienter l’attention des hommes vers la conscience de leur propre responsabilité.”

Depuis qu’on connaît mieux la force du sub-conscient, on peut affirmer que même nos pensées réagissent sur notre entourage. Si nous pensons d’un manière constructive, charitable et optimiste, nous émettons des fluides bienfaisants; au contraire, en pensant d’un manière destructive et en nourrissant des griefs, nous nuisons à notre entourage.

Il y a en ce moment dans le monde un symptôme consolant: devant la coalition des forces diaboliques (une des plus terribles peut-être qui se soit encore déchaînée dans l’humanité) nous voyons se former une mobilisation secrète des forces spirituelles dont la puissance croît sans cesse. Les croyants du monde entier (et même les incroyants aux idées généreuses et charitables) se sentant menacés dans leur foi et leur idéal, comprennent enfin l’évidente fraternité qui devrait les unir, et l’on entend des voix qui s’appellent dans la tempête.

Les Bahá’ís reconnaissent là le travail de l’Esprit Saint, Ferment divin qui agit parmi les hommes, et à leur insu, depuis que Bahá’u’lláh, il y a quatre vingts ans, a proclamé Sa mission. En effet, chose frappante et indéniable, ces voix qui s’appellent dans la tempête, sont bien souvent des voix de Bahá’ís sans le savoir.

Voici un exemple entre cent: dans un journal anglais vient de paraître un article signé d’un nom inconnu en France, Sir EdWard Villers, et que je puis résumer ainsi:

“Le monde est très malade, l’Angleterre autant que le reste du monde. On cherche en vain la cause de la maladie. Or, cette cause est la peur. Nous sommes malades de peur, parce que nous avons quitté le Rocher de notre salut qui est Dieu. Nous ne mettons plus notre confiance en Lui. Il s’agit maintenant de ne plus avoir peur, de retrouver la foi en Dieu, et d’espérer en Lui, tout en faisant notre devoir d’hommes, et on luttant bravement sur la terre. En pensant et agissant ainsi, nous deviendrons invincibles individuellement, et ensuite nationalement.”

Si nous abordons le domaine de la littérature et de la philosophie, nous voyons le grand penseur anglais, Aldous Huxley, dont un des derniers livres traduit en francais est intitulé “La Fin et les Moyens.” Etudiant l’actuelle catastrophe humaine, il préconise le remède Bahá’í par excellence; former des groupes de plus en plus nombreux d’hommes [Page 867] et de femmes détachés d’eux-mêmes, et qui, par le renoncement, ne cherchent pas seulement à assurer leur propre salut dans la vie future, mais le salut de leurs frères ici-bas.

Kayserling, le philosophe balte allemand, voit le monde actuel en proie aux convulsions de l’enfantement, et donne ce titre plein d’espoir à l’un de ses livres: "Le Monde Qui Naît.” Lui non plus ne propose pas d’autre remède au mal dont nous souffrons, que l’amélioration de l’individu.

Enfin, cette Société des Nations dont la faillite est une telle désillusion, une telle blessure pour les coeurs optimistes, nous pourrions considérer son effondrement de plus haut, et nous y trouverions peut-être quelque consolation.

Lorsque les hommes veulent sortir de l’ornière sanglante où ils se débattent, ils ne réussissent pas toujours la première, ni la deuxième, ni même la troisième fois. Napoléon avait déjà eu l’idée d’une Fédération des Etats d’Europe.—“Et pourquoi pas?” disonsnous maintenant, “puisqu’en Amérique c’est chose réalisée.” Après l’essai de Napoléon, la tentative actuelle a encore échoué. Mais plus tard, si les commandements de Dieu sont appliqués avec le Plan de Bahá’u’lláh aux questions de politique et d’économie politique, plus tard, si les nations se dépouillent de leur égoïsme national et font passer les intérêts de l’humanité avant leurs intérêts économiques particuliers, plus tard se formera une Société des Nations du Monde qui pourra vivre et durer.

Seulement nous ne la verrons pas! Et c’est cela qui est dur! Nous qui sommes dans le cyclone, nous ne verrons pas l’apaisement! Notre seule consolation est de croire à cette future Paix Suprême, et d’y travailler sans défaillance, chacun dans le domaine qui nous est propre.

Chaque année, et maintenant presque de mois en mois et de semaine en semaine, nous voyons l’Humanité s’enfoncer plus profondément dans un tunnel dont la sortie est invisible. Nous ne discernons pas la Lumière qui est au bout du tunnel, et nous avons peur des ténébres qui s’épaississent. . . . Mais cette Lumière, nous savons qu’elle existe, ne l’oublions jamais, pensons-y toujours, nous qui probablement ne verrons pas la sortie du tunnel! Cette Lumière, c’est la Venue du Royaume de Dieu, pour laquelle les hommes n’ontjamais cessé de prier, et que tous les Prophètes de Dieu ont annoncée.

Nous ne sommes jamais humbles pour évaluer l’importance infime du moment où nous vivons. Si nous placions ce moment dans le temps et dans l’espace, et dans l’Univers de Dieu, nous arriverions probablement à trouver la sérénité de l’astronome, et la force d’âme de saint.

Pour conclure, j’évoquerai la voix même d’ ‘Abdu’l-Bahá.

En 1912, deux ans avant la guerre mondiale, quelqu’un se lamentait devant Lui de la détresse du monde, détresse qui n’a cessé d’augmenter depuis lors, d’une manière effarante.

Voici Sa réponse: “Ne soyez pas troublés: quels que soient les événements à venir, rien n’arrivera jamais qui ne hâte l’avènement du Royaume de Dieu.‘ Sa volonté est suprême.”

[Page 868]

The members of the Spiritual Assembly of the Bahá’ís of Karachi, India, bidding farewell to Miss Martha Root on the occasion of her departure for Australia and New Zealand.