[Page 940]26.
LE MARTYRE PAR DR. A. MESBAH
AVEZ-VOUS remarque, a la fin de l’hiver, les nombreux bourgeons qui, coiffant les branches d’arbres, attendent impatiemment l’arrivée du printemps pour éclore et devenir d’éclatantes fleurs?
A peine cependant les bourgeons sont-ils ouverts, a peine leur naissantes corolles ontelles, a travers l’espace, exhalé un parfum subtil, que déja leur ravissants pétales se fanent et tombent en poussiére.
Ce sont la des martys de la nature. Mais en réalité disparaissent-ils vraiment, ou plutot ne commencent-ils pas une autre vie dans le fruit qui les succéde? Ainsi ce vieux monde malgré les nouveautés que, continuellement il nous présente n’a jamais changé son cours régulier. Les jours qui se suivent, les années qui se succédent ont entre eux une analogie frappante. De méme qu’il existe pour la terre une période saisonniére d’un an, pendant laquelle elle Vit grace a la chaleur bienfaisante du soleil, de méme il existe pour l’humanité une semblable période aussi réguliére.
L’histoire nous montre en effet qu’a peu pres tous les mille ans une ere nouvelle de spiritualité commence, et, par l’apparition d’une divine manifestation, le monde, tombé en décadence, se retrouve régénéré. Ainsi donc avant le renouveau spirituel, alors que le genre humain se trouve plongé dans la plus noire obscurité morale et intellectuelle, il se trouve des hommes au coeur pur qui, sentant la proche arrivée du printemps Divin s’impatientent 2. l’instar des bourgeons. Ces hommes £1 l’§me transparente de pureté ont la méme destinée et subissent le méme sort que ces fleurs printaniéres qui doivent étre sacrifiées pour faire place aux fruits. Leur coeur est prét 5 brfiler d’amour divin, et, au premier appel de la manifestation de Dieu ils s’enflamment et se consument pour leur Bien-aimé. Tel a été, parmi les temps les plus récoulés, la marche de ce monde. Ces étres, élus parmi les autres, qui ont
940
donné par leur sang témoignage de la vérité, one existé de toujours et partout.
Socrate qui, avec un courage surnaturel, montrant son profond dédain pour le monde physique, donna une sublime legon de sacrifice. II but la cigiie tout aussi simplement qu’un breuvage ordinaire, tant il était sfir que son trépas n’était que le commencement d’une nouvelle vie éternelle.
“Pourquoi pleurer ainsi, disait-il a ses disciples consternés, quand mon ame affranchie du lourd poids de mon corps va s’envoler
vers Dieu, chercher la vérité, la connaitre peut-étre. . . .”
Le christianisme nous a donné de nombreux exemples de martyrs. Pendant 300 ans les disciples du Christ, suivant pas £1 pas les traces de leur Divin Maitre (qui donna son sang pour effacer les péchés du monde) furent persécutés de tous les points du globe. Ces persécutions furent la cause que le grain d’enseignement semé par Jésus dans les coeurs humains, arrosé du sang des martyrs leva si bien. Le génie du christianisme pénétra dans tout l’univers, donnant naissance a une civilisation jamais égal’ee jusqu’alors.
Aujourd’hui l’humanité, parcourant les premieres étapes de sa vie et arrivant ‘a l'éige adulte, a une plus grande intensité d’action. Le nombre des martyrs de la foi Bahá’íe est considérable. L’ardeur et la bravoure des croyants devant les tortures que leur infligeaient les ennemis de la Cause sont sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Le soleil de la vérité se leva dans le coin le plus obscur parmi les peuples civilisés. Cependant il s’y trouva des étres qui, par leur pureté d’§me, sentirent l’arrivée de la plus grande manifestation de Dieu. Ils veillaient, et, des que l’aurore divine apparut, dés que les voix du Bab et de Bahá’u’lláh se firent entendre une foule considérable, du plus petit jusqu’au plus grand, embrassérent leur sainte Cause. Ils savaient naturellement
de quel prix ils devaient payer la déclaration de leur nouvelle foi, mais ils étaient préts, puisqu’ils se trouvaient etre arrivés au but essentiel de leur vie.
Ils étaient, ces martyrs, si complétement détachés du monde physique, que les douleurs des tortures qu’ils enduraient semblaient n’avoir aucun effet sur eux. Et quelles tortures cependant! . . . Les bo-urreaux n’aVaient rien trouvé de miex que de percer en maints endroits les corps des suppliciés, de placer dans chacun des trous des chandelles allumées, et de les promener ainsi 5 traver la ville, sous les quolibets de la foule__.
Malgré le sang qui les aveuglait, la cire‘
fondue qui faisait grésiller leur peau, ces sublimes martyrs trouvaient la force de chanter des cantiques. On raconte que Sulaymén flan, tout en chantant, ramassait les bougies qui tombfiient et les replagait sur son corps. Quelqu’un lui ayant crié "Pourquoi ne danses-tu pas aussi?” il se mit 21 danser.
Je veux citer ici un passage du livre “Les Apotres” écrit par Renan, un éminent écrivain francais (un chrétien, un non-Bahá’í qui voit dans ces martyrs une révélation religieuse aussi grande que le christianisme.
"Notre siécle a vu des mouvements religieux tout aussi extraordinaires que ceux d’autre fois, mouvements qui ont provoqué autant d’enthousiasme, qui ont eu déja, proportion gardée, plus de martyrs. . . . Le Bahá’ísme en Perse a été un phénoméne . . . considérable. . . Des milliers des martyrs sont accourus pour lui avec allégresse au devant de la mort. Un jour sans pareil, peutétre dans l’histoire du monde, fut celui de la grande bouchrie qui se fit des Babis a Tihran. On vit ce jour-la dans les rues et les bazars de Tihran, dit un narrateur qui a tout su d’original, un spectacle que la population semble devoir n’oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd’hui se met sur cette matiére on peut juger de l’admiration melée d’horreur que la foule éprouva et que les années n’ont pas diminuée. On vit s’avan cer entre les bourreaux, les enfants et les femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec les méches allumées, flambantes, fichées dans les blessures. On les trainait par des cordes et on les faisait marcher a coups de fouet. Enfants et femmes
MARTYRE
941
avangaient en chantant un verset qui dit ‘Envérité nous sommes de Dieu et nous retournons £1 lui!’
“Leurs voix s’élevaient éclatantes audessus du silence profond de la foule. Quand un des suppliciés tombait et qu’on le faissait relever £1 coups de fouet ou de baionnette, pour peu que la perte de son sang qui r-uisselait sur tous ses membres, lui laissait encore un peu de force, il se mettait 5 danser et crier avec un surcroit d’enthousiasme: ‘En verité nous venons de Dieu et nous retournerons £1 lui!’
"Quelques uns des enfants expirérent dans le trajet. Les bourreaux jetérent leurs corps sous les pieds de leur pére et de leurs soeurs qui marchérent fiérement dessus et ne leur donnérent pas deux regards. Quand on arriva au lieu d’exécution, on proposa encore aux victimes la vie pour leur abjuration. Un bourreau imagina de dire a un pére que s’il ne cédait pas, il couperait la gorge de ses deux fils sur sa poitrine. C’e’taient deux petits garcons dont l’ainé avait quatorze ans et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue; le pére répondit en se couchant par terre qu’il était pret, et l’ainé des enfants réclamant avec emportement son droit d’ainesse, demanda £1 étre égorgé le premier”
Comment pourvoir décrire les souffrances de ces saints, ou trouver des mots pour expliquer leur état d’?1me?
Notre esprit est incapable de sonder l’abime de ce mystére.
La souffrance physique nous est intolerable et nous aimons notre vie par-dessus tous. Comment donc ces hommes qui n’étaient, aprés tout, que des humains comme nous, ont-ils pu subir avec allégresse ces aifreux supplices?
Quelle force mysérieuse a pu les transformer de la sorte?
Que s’est-il produit en eux pour étre ainsi changés?
Pour répondre £1 toutes ces questions il nous reste £1 croire une seule chose, c’est que ces étres, bien qu’encore vivants sont complétement détachés des biens d’ici bas. Ils sont sur terre mais leur éime s’envole vers le ciel pour voir 1’aurore du jour éternel.
Les forces vitales et spirituelles qui émanent des saintes manifestations divines, au
[Page 942]942
commencement de chaque ere, sont tellement fortes qu’elles font apparaitre dans l’homme toutes les capacités qui existent en lui a l’état latent.
En réalité ce monde physique est pour l’homme un purgatoire qui doit le purifier et le perfectionner dans un temps plus ou moins long.
THE Bahá’í WORLD
Les martyrs, arrivés par la bonté divine a un tel dégré de perfection, et ayant terminé leur stage ici-bas, n’one plus besoin d’y séjourner.
C’est ainsi q’avec enthousiasme, ils s’évadent de leur prison corporelle pour s’envoler dans les cieux afin d’atteindre avec plus d’intensité la perfection sans limite.