Bahá’í World/Volume 8/Le Martyre

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LE MARTYRE

PAR DR. A. MESBAH

AVEZ-VOUS remarque, à la fin de l’hiver, les nombreux bourgeons qui, coiffant les branches d’arbres, attendent impatiemment l’arrivée du printemps pour éclore et devenir d’éclatantes fleurs?

A peine cependant les bourgeons sont-ils ouverts, à peine leur naissantes corolles ontelles, à travers l’espace, exhalé un parfum subtil, que déjà leur ravissants pétales se fanent et tombent en poussière.

Ce sont là des martys de la nature. Mais en réalité disparaissent-ils vraiment, ou plutôt ne commencent-ils pas une autre vie dans le fruit qui les succède? Ainsi ce vieux monde malgré les nouveautés que, continuellement il nous présente n’a jamais changé son cours régulier. Les jours qui se suivent, les années qui se succèdent ont entre eux une analogie frappante. De même qu’il existe pour la terre une période saisonnière d’un an, pendant laquelle elle vit grâce à la chaleur bienfaisante du soleil, de même il existe pour l’humanité une semblable période aussi régulière.

L’histoire nous montre en effet qu’a peu près tous les mille ans une ère nouvelle de spiritualité commence, et, par l’apparition d’une divine manifestation, le monde, tombé en décadence, se retrouve régénéré. Ainsi donc avant le renouveau spirituel, alors que le genre humain se trouve plongé dans la plus noire obscurité morale et intellectuelle, il se trouve des hommes au coeur pur qui, sentant la proche arrivée du printemps Divin s’impatientent à l’instar des bourgeons. Ces hommes à l’âme transparente de pureté ont la même destinée et subissent le même sort que ces fleurs printanières qui doivent être sacrifiées pour faire place aux fruits. Leur coeur est prêt à brûler d’amour divin, et, au premier appel de la manifestation de Dieu ils s’enflamment et se consument pour leur Bien-aimé. Tel a été, parmi les temps les plus récoulés, la marche de ce monde. Ces êtres, élus parmi les autres, qui ont donné par leur sang témoignage de la vérité, one existé de toujours et partout.

Socrate qui, avec un courage surnaturel, montrant son profond dédain pour le monde physique, donna une sublime leçon de sacrifice. Il but la cigüe tout aussi simplement qu’un breuvage ordinaire, tant il était sûr que son trépas n’était que le commencement d’une nouvelle vie éternelle.

“Pourquoi pleurer ainsi, disait-il à ses disciples consternés, quand mon âme affranchie du lourd poids de mon corps va s’envoler vers Dieu, chercher la vérité, la connaître peut-être. . . .”

Le christianisme nous a donné de nombreux exemples de martyrs. Pendant 300 ans les disciples du Christ, suivant pas à pas les traces de leur Divin Maître (qui donna son sang pour effacer les péchés du monde) furent persécutés de tous les points du globe. Ces persécutions furent la cause que le grain d’enseignement semé par Jésus dans les coeurs humains, arrosé du sang des martyrs leva si bien. Le génie du christianisme pénétra dans tout l’univers, donnant naissance à une civilisation jamais égal’ee jusqu’alors.

Aujourd’hui l’humanité, parcourant les premières étapes de sa vie et arrivant à l'âge adulte, a une plus grande intensité d’action. Le nombre des martyrs de la foi Bahá’íe est considérable. L’ardeur et la bravoure des croyants devant les tortures que leur infligeaient les ennemis de la Cause sont sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

Le soleil de la vérité se leva dans le coin le plus obscur parmi les peuples civilisés. Cependant il s’y trouva des êtres qui, par leur pureté d’âme, sentirent l’arrivée de la plus grande manifestation de Dieu. Ils veillaient, et, dès que l’aurore divine apparut, dès que les voix du Báb et de Bahá’u’lláh se firent entendre une foule considérable, du plus petit jusqu’au plus grand, embrassèrent leur sainte Cause. Ils savaient naturellement [Page 941] de quel prix ils devaient payer la déclaration de leur nouvelle foi, mais ils étaient prêts, puisqu’ils se trouvaient etre arrivés au but essentiel de leur vie.

Ils étaient, ces martyrs, si complètement détachés du monde physique, que les douleurs des tortures qu’ils enduraient semblaient n’avoir aucun effet sur eux. Et quelles tortures cependant! . . . Les bourreaux n’avaient rien trouvé de miex que de percer en maints endroits les corps des suppliciés, de placer dans chacun des trous des chandelles allumées, et de les promener ainsi à traver la ville, sous les quolibets de la foule. Malgré le sang qui les aveuglait, la cire fondue qui faisait grésiller leur peau, ces sublimes martyrs trouvaient la force de chanter des cantiques. On raconte que Sulaymán Khán, tout en chantant, ramassait les bougies qui tombâient et les replaçait sur son corps. Quelqu’un lui ayant crié "Pourquoi ne danses-tu pas aussi?” il se mit à danser.

Je veux citer ici un passage du livre “Les Apôtres” écrit par Renan, un éminent écrivain francais (un chrétien, un non-Bahá’í) qui voit dans ces martyrs une révélation religieuse aussi grande que le christianisme.

"Notre siècle a vu des mouvements religieux tout aussi extraordinaires que ceux d’autre fois, mouvements qui ont provoqué autant d’enthousiasme, qui ont eu déjà, proportion gardée, plus de martyrs. . . . Le Bahá’íisme en Perse a été un phénomène . . . considérable. . . . Des milliers des martyrs sont accourus pour lui avec allégresse au devant de la mort. Un jour sans pareil, peutêtre dans l’histoire du monde, fut celui de la grande bouchrie qui se fit des Bábís à Ṭihrán. On vit ce jour-là dans les rues et les bazars de Ṭihrán, dit un narrateur qui a tout su d’original, un spectacle que la population semble devoir n’oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd’hui se met sur cette matière on peut juger de l’admiration melée d’horreur que la foule éprouva et que les années n’ont pas diminuée. On vit s’avan cer entre les bourreaux, les enfants et les femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec les mèches allumées, flambantes, fichées dans les blessures. On les trainait par des cordes et on les faisait marcher à coups de fouet. Enfants et femmes avançaient en chantant un verset qui dit ‘Envérité nous sommes de Dieu et nous retournons à lui!’

“Leurs voix s’élevaient éclatantes audessus du silence profond de la foule. Quand un des suppliciés tombait et qu’on le faissait relever à coups de fouet ou de baionnette, pour peu que la perte de son sang qui ruisselait sur tous ses membres, lui laissait encore un peu de force, il se mettait à danser et crier avec un surcroit d’enthousiasme: ‘En verité nous venons de Dieu et nous retournerons à lui!’

"Quelques uns des enfants expirèrent dans le trajet. Les bourreaux jetèrent leurs corps sous les pieds de leur père et de leurs soeurs qui marchèrent fièrement dessus et ne leur donnèrent pas deux regards. Quand on arriva au lieu d’exécution, on proposa encore aux victimes la vie pour leur abjuration. Un bourreau imagina de dire à un père que s’il ne cédait pas, il couperait la gorge de ses deux fils sur sa poitrine. C’e’taient deux petits garçons dont l’ainé avait quatorze ans et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue; le père répondit en se couchant par terre qu’il était pret, et l’ainé des enfants réclamant avec emportement son droit d’ainesse, demanda à être égorgé le premier”

Comment pourvoir décrire les souffrances de ces saints, ou trouver des mots pour expliquer leur état d’âme?

Notre esprit est incapable de sonder l’abime de ce mystère.

La souffrance physique nous est intolérable et nous aimons notre vie par-dessus tous. Comment donc ces hommes qui n’étaient, après tout, que des humains comme nous, ont-ils pu subir avec allégresse ces affreux supplices?

Quelle force mysérieuse a pu les transformer de la sorte?

Que s’est-il produit en eux pour être ainsi changés?

Pour répondre à toutes ces questions il nous reste à croire une seule chose, c’est que ces êtres, bien qu’encore vivants sont complètement détachés des biens d’ici bas. Ils sont sur terre mais leur âme s’envole vers le ciel pour voir l’aurore du jour éternel.

Les forces vitales et spirituelles qui émanent des saintes manifestations divines, au [Page 942] commencement de chaque ère, sont tellement fortes qu’elles font apparaître dans l’homme toutes les capacités qui existent en lui à l’état latent.

En réalité ce monde physique est pour l’homme un purgatoire qui doit le purifier et le perfectionner dans un temps plus ou moins long.

Les martyrs, arrivés par la bonté divine à un tel dégré de perfection, et ayant terminé leur stage ici-bas, n’one plus besoin d’y séjourner.

C’est ainsi q’avec enthousiasme, ils s’évadent de leur prison corporelle pour s’envoler dans les cieux afin d’atteindre avec plus d’intensité la perfection sans limite.