Bahá’í World/Volume 5/Le Bahá’ísm
LE BAHÁ’ÍSME1
PAR EUGEN RELGIS
D’APRÈS sa définition idéaliste, la religion est universaliste. Quel que soit le Dieu qu’elle proclame, foute religion fut, au commencement, l’expression de la tendance d’unification de l’humanité et de la lutte contre les forces temporaires. Son substratum, plus sentimental que rationnel, a préparé un développement de la solidarité. Dans l’antiquité, cette solidarité fut limitée dans une région, dans un groupement de peuples, dans une race. C’était aussi un progrès devant des innombrables croyances dénommées payennes ou fétichistes. De l’idolâtrie des petits groupements, on est arrivé aux masses fondues dans un déisme, lancé par les prophètes et accaparée ensuite par “les représentants de Dieu sur la terre.” La religion a perdu sa sève vitale lorsque, incorporée dans une église, son esprit originaire fut alteré par les dominateurs des peuples,—dénaturé par un clergé au service d’une caste, d’une politique ou d’un état. Ainsi, au lieu de contribuer à l’unification, la religion, est devenue un instrument de lutte temporelle, augmentant la mêlée des intérêts contraires, croyant qu’elle peut servir la foi à l’aide du sabre, monopolisant Dieu au profit d’un peuple, plus exactement: de celui d’une minorité privilégiée.
Nous savons bien que nous ne disons rien de nouveau. C’est une simple mais nécessaire constatation, dans le cadre d’une oeuvre consacrée aux actions universalistes. C’est pourquoi nous devons enregistrer, volontiers, un mouvement qui tend au relévement de la religion sur le plan planétaire et cosmique: le Bahá’ísme. Celuï-ci a le mérite d’être dépouillé de “révélations,” en se présentant avec quelques principes éthiques résultés d’une analyze rationnelle de la vie humaine et avec un impératif spirituel extrait de la conscience de la solidarité universelle et de la loi vitale de la coopération.
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1Chapitre extrait d’un livre inedit: "Cosmométapolis,” à paraitre bientôt en francais, espagnol et roumain.
Ce mouvement a été préparé en Perse, en 1844, par un jeune homme qui s’appelait Báb. Martyrisé en 1850, aprés six ans de lutte pour la réformation et l’élargissement de la religion, il, eut comme succésseur Bahá’u’lláh qui peut étre considéré comme le vrai fondateur du mouvement Bahá’í. Persecuté lui aussi avec cruauté, il a passé d’une prison à l’autre, de Perse en Turquie et ensuite en Palestine. Pendant le 40 ans de son exil, il a développé les principes qui représentent ajourd’hui la base d’une religion universelle. Ses disciples ont répandu ses principes pendant qu’il restait dans les prisons. Lorsqu’en 1892 Bahá’u’lláh mourut, à l’âge de 75 ans, il, laissa comme promoteur et interpréte sons fils Abdul’ Bahá, qui a partagé avec son père l’exile et les prisons jusqu’en 1908, quand il s’établit à Haifa, en Palestine. D’ici, le mouvement fut répandu dans tous les pays. Abdul’ Bahá voyagea en Europe, en Afrique et en Amérique, préchant infatigablement les enseignements de la paix et de la fraternité. Il mourut en 1921, à l’âge de 77 ans, laissant son petit-fils Shoghi Effendi comme “premier gardien de la Cause.”
Au temps de Báb et de Bahá’u’lláh, lorsque
la Perse se trouvait dans une extrême décadence,
lorsque le fanatisme était un instrument de
persécution dans la main du gouvernement corrompu,
lorsque les sciences et
les arts étaient considérés comme "impures”
et les femmes étaient tenues en ignorance et
esclavage, les adaptes de ce nouveau mouvement
furent dépossédés, torturés, éxilés. Les
martyres de cette religion humaine s’élévaient
au nombre de 20.000. En 1892, les adeptes
du Bahá’ísme comptaient au moins un demimillion
(Lord Curzon de Kedleston, dans
son livre La Perse). Aujourd’hui, ils dépassent
deux millions. Sous l’influence de
Bahá’u’lláh, les membres de diférentes religions
et d’innombrables sectes ont réussi à
s’unir dans une véritable fraternité, en
supprimant les préjugés, élévant des écoles,
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dévénant plus éclairés et plus tolérants. De
Perse, le mouvement Bahá’í s’est répandu
partout, dans toutes les catégories sociales.
On compte des milliers de Bahá’ístes dans
toutes les capitales occidentales; le mouvement
a gagné les plus grands esprits de la
civilisation et de la science contemporaines.
Eugen Relgis, Rumanian.
Writer and peace worker, who first heard of the Bahá’í Teachings from the late Dr. Auguste Forel.
Il serait fastidieux d’énumérer toutes leurs témoignages.
Je dois la connaissance du mouvement Bahá’í au savant Auguste Forel, lorsqu’en 1930 il me parla de la “religion du bien social.” Ce “libre penseur” avait encorporé dans son credo les principes du Bahá’ísme. Repoussant les blagues des soi-disants chrétiens, qui jonglaient avec les mots Dieu, religion, etc., Forel écarte le Dieu fabriqué par les “fidèles”—d’après leur image et leur ressemblance. “Le vrai Dieu est à jamais inconnaissable à l'homme.” Il n’est pas le Dieu des innombrables sectes, ni celui des variétés du christianisme, ni celui du fatalisme musulman, ni celui des Juifs devôts ou du Nirvana boudiste. On a quand même besoin d’un mot pour indiquer “la toute puissance inconnaissable de l’Univers avec ses millions de soleils.” Celui qui s’appelle athée, trahit son inconscience ou sa vanité. Il existe une religion. Et Forel l’appelle simplement: “Nous autres ‘incrédules,’ je le dis aux croyans, chrétiens de toute sorte, juifs, musulmans, etc., nous avons aussi notre religion, c’est-à-dire celle du “Bien social humain.” . . .
Mais le mouvement Bahá’í fait aussi appel
aux homme d’une religion—chrétiens, musulmans,
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juifs, hindous, zoroastriens—pour
s'unir dans une fraternité qui supprime la
haine et les préjugés et qui, "en changeant
les coeurs et la vie des hommes, en fait des
créatures nouvelles.” A cet égard, le temple
bahaiste élévé a Chicago est bien symbolique;
dans la grande salle centrale, se trouve une
chapelle pour chaque religion, pour chaque
culte existant; n’importe qui peut s’incliner
devant l’autel de sa religion, dans une
atmosphere de communion supérieure, d’harmonie
de divers cultes dans l’esprit d’une “nouvelle
civilisation, où la cooperation remplacera la
concurrence, où l’amitié prendra la place de
la haine, où le dévouement à la volonté divine
sera substitué à l’égoisme et aux désirs mondains.”
Bahá’u’lláh considèrait les grandes religions comme des partis du plan universel de l’éducation et due salut de l’humanité. Chaque prophète qui a proclamé un Dieu unique et l'amour du prochain, a exposé sa doctrine dans "la forme la mieux adaptée aux besoins de l’époque dans laquelle il vivait.” Mais l’homme est arrivé à une phase de développement qui le rend capable de “comprendre un enseignement plus universel.” Le mouvement Bahá’í comprend des einseignements d’anciennes religions, en les harmonisant avec tous les progrès de la science et de la technique contemporaines. Non seulement l’unité spitituelle, mais aussi la matérielle: “Le télégraphe, le téléphone, les aéroplanes, la radio, etc., tout contribue à 'unification de l’humanite.” . . . Nous pouvons trouver une pareille proclamation de la tendance vers l’unité dans les oeuvres les plus rigoureusement scientifiques. Par exemple, dans: “La Biologie de la Guerre” du professeur George-Fr. Nicolaï.
Il est nécessaire de reproduire ici les principes du Bahá’ís Bahaïsme: “religion internationale universelle sans dognes ni prêtres.” Ces principes furent énoncés par Bahá’u’lláh en 1852:
1. La recherche illimitée de la vérité et l’abandon des superstitions et des préjugés.
2. L’unité de l’humanité: “Vous êtes tous les feuilles d’un même arbre, les fleurs d’un mêem jardin.”
3. La religion doit déterminer l’amour et l’harmonie, autrement elle n’est pas une religion.
4. Toutes les religions sont une dans leurs principes fondamentaux.
5. La religion doit avanccr main à main avec la science. La foi et la raison doivent être dans un accord complet.
6. La piax universelle. L’établissement d’une Société des Nations universelle, d’une Cour d’arbitrage et d’un Parlament international.
7. L’adoption d’une langque universelle auxiliaire qui sera enseignée dans toutes les écoles du monde. (Esperanto.)
8. L’instruction obligatoire pour tous. Education rigoureuse, surtout pour les jeunes-filles, qui seront les mères et les premières éducatrices de la génération future.
9. Possibilités égales de développement et droits égaux pour l’homme et la femme.
10. Du travail pour tous. Ni riche paresseux, ni pauvre paresseux. Le travail, avec la volonté de servir son prochain, est l’égal d’un acte de foi.
11. L’abolition des extrèmes de la pauvreté et de la richesse. Le soin pour le nécessaire de l’existence (Care for the needy),—chaque être humain ayant les mêmes droits aux biens corporels et mentaux.
12. La reconnaissance de l’unité de Dieu et l’obéissance à ses commendements, révélés par ses manifestations divines.
Ce dernier principe est exprimé, dans autres tracts publiés à génève, dans la manière suivante:
12. Les préceptes des Bahá’í, leur morale, constituent la religion unifiante et universelle de l’humanité toute entière.
Unité, Vérité, Liberté, Amour. . . .Des impératifs que nous trouvons dans n’importe quel crédo universaliste, que nous avons exprimé aussi dans nos “Principes humanitaristes,” en 1921, quand nous n’avons pas même soupconné l’existence du mouvement Bahá’í, vieux presque d’un siècle! Il est naturel que les chemins planétaires s’entrecroisent à un moment donné, pour s’unir étroitement ou pour aller paraléllement vers leur but commun. Les uns sont partis de la science, d’autres de l’éthique. Les uns, du postulat spirituel; d’autres, du matérialisme. Mais la vérité suprême les unit tous dans son eternelle et toute puissante lumière.
Ce qui donne au Bahá’ísme une valeur
positive, c’est le fait que la notion de la
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religion est délivrée d’apparences, de dogmes
Et de la tyranie de la caste écclésiastique—et
qu’elle est confondue dans le grand
courant de la vie humaine et universelle. Une
telle religion supprime les intérmédiaires
entre l’homme et Dieu; elle écarte les
exploitateurs de l’ignorance et de la misère
populaire, en faisant de chaque homme, de
quelle religion qu’il soit, un individu capable
d’élévation spirituelle, responsable de ses
actions devant sa propre conscience, solidaire
avec l’humanité et le monde. Le Bahá’ísme,
purifiant la religion des mythes et de la
mystique stérile, supprime aussi la
contradiction entre la science et la
religion; repoussant les préjugés sociaux,
il efface les différences entre les nations,
les races et les
catégories sociales, que les diverses Eglises
soumises aux Etats et aux politiciens ont
accentué au cours des siècles. Le Bahá’ísme
proclame donc une culture humaine et universelle,
basée sur la solidarité de l’espèce
humaine entière. Il considère même
l’humanité comme un organisme, en accentuant,
par des arguments de la vie spirituelle, la
conception biologique de "l’organisme de
l’humanite” dans le temps et l’espace.
Des nombreuses ouvrages ont été consacrés au Bahá’ísme, non seulements par ses promoteurs, mais aussi par les sociologues et les savants européens et américaines qui ont examiné les oeuvres de Bahá’u’lláh et d'Abdul’Bahá avec les instruments d’investigation rationaliste. Elles ont résisté aux plus 'rigoureux et aux plus sceptiques examens.1 Certains, comme Hyppolyte Dreyfus et Horace Holley, ont examiné le côté social et économique du Bahá’ísme.2 H. Holley, partant des principes bahá’ístes, montre le chaos dans lequel se débat le monde moderne, depuis que la guerre—échapée au contrôle dont furent investis les conducteurs de l’Etat —a passé dans le domaine illimité de l’activité sociale et économique. Holley fait ressortir trois faits: (1) “Les gouvernements sont devenus pour l’humanité les principales sources de péril” par l’incessant accroissement de l’armement; (2) L’industrie et le
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1“L’oeuvre de Bahá’u’lláh," en 3 volumes, traduits en francais par H. Dreyfus. Edit. E. Leroux, Paris.
2“Essai sur le Bahá’ísme,” son histoire, sa portée sociale, par Hyppolyte Dreyfus—et "L’économie mondiale, de Bahá’u’lláh" par Horace Holley, Paris 1932.
commerce ne nourrissent plus, n’habillent plus et n’abrîtent plus les foules; au contraire, la pauvreté a énormément augmenté "avec la concentration des moyens de production et de distribution des richesses, à laquelle ne correspond pas une politique sociale appropriée”; (3) A cause de la diversité et des antagonismes entre les cultes et les dogmes (qui sont arrivés sous la dépendance des autorités civiles pour “faire donner force de loi aux principes de morale”) les religions établies “au lieu d’intensifier en l’homme la vie intérieure qui unit les êtres dans un esprit d’entr’aide et de coopération, empoisonnent les sources mêmes de cette vie.” Elles provoquent ainsi des luttes sanglantes, “la compétition qui produit le nationalisme dans l’Etat et la fureur d’accroisesement personnel chez les individus.”
Donc, l’Etat, le Capitalisme et l’Eglise sont aujourd’hui les trois causes qui sapent les fondements d’une civilisation qui ne sert plus aux intérêts de l’humanité. Le nouvel ordre ne peut pas être fondé que sur l’unité de l’humanité, sur la dépendance mutuelle où se trouvent les races qui ont une communauté d’origines et de buts.3 L’organisation sociale actuelle s’écroule à cause du “séparatisme et de la diveresité,” son mobile étant l’intérêt personnel. C’est intéressant de constater, dans le cadre de cette étude, qu’ Horace Holley, dans l’exposé de l’économie mondiale de Bahá’u’lláh, arrive aux conclusions proches de celles de la conception cosmométapolite. Faisant une analogie avec l’époque de décadence de l’Empire romain, il montre comment la nouvelle croyance chrétiennes réussit alors à se répandre—et il précise que "la réstauration de la société fut l’ouvrage des individus régénérés, formés en groupe coopératif et non point l’effet d’une réforme de tarifs, d’un rajustement des salaires ou d’une réorganisation du commerce et de la législation.” Par le renouvellement spirituel on peut arriver à une réforme essentielle. “Une science spirituelle, dont l’objet est le problème centrale du bien-être de l’humanité . . . peut créer les organismes nécessaires
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3 Vous êtes les fruits d’un seul arbre, les feuilles d’une seule branche les fleurs d’un seul jardin” (Bahá’u’lláh) cf. J. E. Esslemont: “ Bahá’u’lláh et l’Fre nouvelle.” Genèva 1932.
au fonctionnement de l’esprit de coopération à travers la société.” C’est le point de départ des principes de Bahá’u’lláh, qui a developpé un plan de réorganisation sociale, basée sur toutes les réalités de la vie humaine. Le chaos et les révolutions vont augmenter sans cesse, tant que “ne sera pas créé un organisme de gouvernement du monde invésti à l’égard du genre humain d’une autorité suprême, et auquel les Etats nationaux seront soumis comme des provinces n’exercant qu’une juridiction locale.” . . .
Nous avons l’impression de lire un des principes cosmométa-polites! La concordance y est aussi en ce qui concerne l’attitude envers le socialisme et le communisme.1 “Le gouvernement mondial” est un leit-motif du Bahá’ísme et du Cosmopétapolisme, quoi qu’ils aient des points de départ différants. "Tant qu’un tel gouvernernent ne sera pas établi, le divorce subsistera entre les valeurs d’ordre “religieux” et celle d’ordre “séculier.” L’administration sociale doit être faite par "les élus du genre humain”—non par des politiciens immorales qui maintiennent la “désunion sociale, afin de se ménager les moyens de pêcher en eau trouble” . . . L’établissement d’un gouvernement mondiala, comme un corollaire indispensable, la régénération de la communauté locale, au sein de laquelle se produisent les principales rélations entre les hemmes. Dans ces communautés locales “s’élabore la qualité de la vie de l’homme,” par l’éducation et par d’autres moyens sur lesquels il n’est pas lieu d’insister ici. Aujourd’hui, ces communautés locales (nations, classes, etc.) sont des cellules malades dans un corps souffrant. La santé y va revenir lorsque l’individu ne sera pas un simple instrument politique, mais un élément économique, ayant droit au nècessaire de l’existence (ceci nous rappelle le “minimum d’existence” de Popper-Lynkeus). . . . La victoire du socialisme nc résoud pas le problème d’un “statut humain.” Le socialisme, le communisme, n’expriment pas “l’essentielle réalité de l’homme”; ils constituent un effort d’organisation matérielle, "mais non point d’unification des êtres,” en négligeant la nature intime de l’homme "pour
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1Cf. les discours d’Abdul'Bahá en Amérique et en Europe, pendant les années 1911-1912.
ne s’occuper que du mécanisme social externe.” Le socialisme peut produire “une apparence d’ordre,” mais au dépens de l’esprit humain. C’est par la reconnaissance des principes spirituels de l’association entre les hommes—par "l’éducation spirituelle de l’homme, la transformation de son idéalisme passif en un état positif où il travaillera activement, de concert avec ses semblables, à de fins communs”—qu’on établira une civilisation basée sur les intérêts généraux et permanents de l’humanité.
Les trois objectifs du Bahá’ísme: le gouvernement mondial, les communautés locales régénérées et l’éducation spirituelle sont fortement liés entre eux. Leurs puisannces d’action sont déclanchées par des individualités, en divers pays, par “les âmes les plus hautes qui reconnaissent en eux les plus grandes valeurs d’idéalisme et de force pratique qui soient au monde.” La force d’inertie de l’évolution passée résiste encore; elle doit être vaincue, car “la vérité reste du côté du mouvement qui pousse a la paix universelle.” Seule la foi consciente peut pencher la balance en faveur de l’évolution naturelle et non de la révolution—en faveur d’un ordre humain et non du chaos provoqué par les guerriers et les politiciens.
Pour les adeptes du Bahá’ísme, de plus en plus nombreux, les enseignements de Bahá’u’lláh représentent la source de cette "foi consciente.” Comme le dit Auguste Forel, ce n’est pas la foi en un certain dogme autoritaire qui fait que l’homme soit religieux —mais c’est “l’ardeur de sa conviction dans l’avenir du Bien social de l’humanité, de son prochain d’aujourd’hui et de demain. Social est synonime de maral,—tandis que la croyance ou l’incroyance dans une vie après la mort, c’est une autre question—qui peut être mise de côté.” Les éléments positifs du Bahá’ísme peuvent attirer aussi la jeunesse occidentale, élévée par l’éducation rationnaliste. Forel précise: “ ‘Abdu’l-Bahá déclare que le monisme et l’évolution darwinienne sont en parfaite harmonie avec le charité chrétienne, ainsi qu’avec la religion universelle, internationale, prêchée et pratiquée par Bahá’u’lláh.”2
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2Nous recommandons à ceux qui désirent approfondir cette doctrine, le livre de J. E. Esslemont: "Bahá’u’lláh et l’Ere nouvelle," traduite en plusieurs langues.
Le Bahá’ísme est, en vérité, aussi une heureuse synthèse de la civilisation matérielle et de la culture spirituelle, de l’Occident et de l’Orient. Reconnaissant que “les choses de la matière sont en étroite relation avec les choses de l’esprit et du coeur,” ‘Abdu’l-Bahá disait, dans un de ses discours prononcés en Amérique (1912) que la civilisation matérielle a atteint en Occident le point culmunant du développement, mais que a véritable civilisation spirituelle est apparue en Orient. Les grands maîtres spirituels sont venus de l’Orient. . . . Bouddha, Confucius. Moïse, Jésus, Muḥammad, Zoroastre, Bahá’u’lláh. Mais dans nos jours d’interdépendance planétaire, l’Orient a besoin des bienfaisances de la civilisations matérielle. “L’Orient doit prendre à l’Occident sa civilisation matérielle, et l’Occident emprunter à l’Orient sa civilisation spirituelle.”
Les sceptiques, qui ne voient que les démentis du moment, pouraient objecter que les “bienfaisances” de l’Orient sont aujourd’hui: l’impérialisme exaspéré du Japon (avec la misére chronique de la Chine et de l’Inde) ainsi que la dictature implacable de la Russie soviétique. La vérité est, que ces manifestations ne sont pas locales, spécifiques à l’Orient; elles sont les formes extremistes d’une crise de transformation mondiales. La première est l’agonie d’une époque qui disparait; la dernière est la naissance d’une époque nouvelle. La premiere ne veut pas mourir: elle veut attirer dans son tambeau, par une guerre planétaire, un nouveaumonde qui veut vivre—mais qui, dans son ardeur, pratique la méthode violente de l’adversaire et qui n’a pas encore eu le temps d’apprendre aussi les autres lois qui gouvernent la vie humaine:—non seulement l’impératif matériel, mais aussi l’impératif spirituel est aux fondements de tout nouveau monde.
A ce point de vue, la concéption de Bahá’u’lláh sur l’évolution humain nous parait extrêmément importante. Il voit dans cette évolution un cycle organique de milleans à peu près, correspondant à la durée d’une religion. Le cycle social commence toujours avec l’apparition d’un prophéte, dont l’enseignement renouvelle la vie intérieure de l’homme et “fait déferler à travers le monde une nouvelle vague de progrés.” . . . “Chaque nouveau cycle détruit les croyances et les institutions usées du cycle précédent et fonde sur d’autres croyances, en étroite conformité, celles-là, avec les besoins actuels de l’humanité, une civilisation nouvelle.1 A son tour, cette civilisation déchoit, car les nouvelles doctrines humaines prennent la place de celles prêchées par le prophète—et, finalement, apparait une autre conception religieuse (ou scientifique) du monde.
Dans les millénaires passés, l’influence des fondateurs de religion a été limitée, a cause de l’isolement géographique des continents ou des races. Aujourd’hui, l’influence du cycle s’étend sur le monde entier. Il exprime l’unité spirituelle qui s’étend sur l’humanité entiére. “L’ère de l’emprisonnement touche à sa fin” et l’homme peut s’élancer “sur les ailes de la foi et de la raison, dans les royaumes plus élévés de l’amour spirituel et de la vérité.”2 Le nouvel ordre organique du monde sera l’oeuvre de cette unité spirituelle, que Bahá’u’lláh avait proclamé avec plus de fermeté ques les autres, et à laquelle la science apporte son témoignage rationnel et intellectual. Le prophète a proclamé la rupture définitive entre l’ère de la concurrence et de l’ère de coopération, tandis que la science, d’autre part, “a tiré l’homme de ’impuissance où il se trouvait à l’égard de la nature physique."3
De ces deux méthodes ressort, comma de la conception cosmométapolite, un rétablissement de la responsabilité morale de l’individu. N’oublions pas: si l’humanité ne devient pas consciente de sa double unité spirituelle et organique, elle périra alors, même par les éléments d’une science sans humanité. Si la science fabrique "les armes vivantes” de l’esprit, les maitres temporaires utilisent les éléments de la science pour fabriquier “les armes morts” de la guerre nationale et civile. L’humanité doit choisir aujourd’hui entre “l’esprit de tribu” et la solidarité universelle qui “travaille pour la prospérité et le bien communs.”
Nous avons tracé dans ces pages seulement la signification du Bahá’ísme, sans examiner tous ses principes et son programme pratique
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1cf. H. Holley: “L'Economie mondiale de Bahá’u’lláh,” p. 21.
2Cité par Esslemont: “ Bahá’u’lláh et l’Ere nouvelle," p. 281.
3Holley, op. cit.
dans lequel sont harmonisées avec l’idéal religieux “les aspirations et les objectifs de la science sociale.” Mais on doit attirer l’attention de tous les esprits libres sur ce mouvement, dont les promoteurs on le mérite d’avoir contribué à la clarification de l’ancienne controverse entre la religion et la science—et d’avoir donné à maint hommes un peu de leur tolérance et de leur optimisme: “L’humanité étáit jusqu’ici restée dans le stade de l’enfance; elle approche maintenant de la maturité,” (‘Abdu’l-Bahá, Washington, 1912).
Qui osera répéter aujourd’hui, dans la mêlée de la haine nationale et sociale, cette sentence de progrês? C’est un Oriental qui nous a dit cela, à nous, orgueilleux on sceptiques Occidentaux. Noud voudrons voir aujourd’hui, dans l’Allemagne hitlériste, dans les pays terrorisés par le fascisme, paralysés par la dictature politique,—un spectacle relaté par le suisse Auguste Forel d’après l’anglais Sprague, qui a vu en Birmanie et en Inde, des bouddhistes, des mahomédans, des chrétiens et des juifs, qui allaient bras-dessus bras-dessous, comme des frères, “au grand étonnement de la population qui n’a jamais vu une chose pareille!”